PSG : Les soupçons visant le PSG et son recours à une « armée numérique » pour déstabiliser jusqu’à ses propres joueurs sur internet ont mis en lumière le propriétaire d’une agence de communication aux réseaux très étendus, Lotfi Bel Hadj. Ce nom n’est pas inconnu au Sénégal. Petit retour en arrière sur les événements terribles de mars 2021.
Lors de ces troubles sanglants, qui ont causé le décès de quatorze individus, et occasionné la destruction de beaucoup de biens publics, le ministre de l’Intérieur, Antoine, Diome, avait fait une sortie, le 5 mars, dans lequel il laissait entendre que des éléments extérieurs étaient à la manette. « Ces actes de provocation sans précédent et sans commune mesure ont provoqué, avec le soutien de forces occultes identifiées, des manifestations violentes dans plusieurs quartiers de la capitale et dans d’autres localités du pays », déclarait-il, Antoine Diome évoque une « conspiration contre l’État » relevant d’une « insurrection organisée ».
Interviewée sur France 24, la ministre des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, dénonce, elle aussi, des attaques sans précédent contre l’autorité de l’État pointant du doigt des « forces extérieures ».
L’homme qui a mis la puce à l’oreille des autorités étatiques sur cette « manipulation étrangère » n’est autre, Lotfi Bel Hadj, un cyber influenceur tunisien. C’est grâce à lui, que l’État du Sénégal a découvert « l’implication de 9 000 comptes Twitter d’origine saoudienne dans ce soulèvement populaire qui s’est en partie joué sur les réseaux sociaux ». « Macky Sall a sollicité en catastrophe ses services et ceux de sa société, UReputation, aux premières heures des manifestations. En quelques semaines, l’homme d’affaires franco-tunisien “s’est montré à la hauteur de sa réputation », raconte Jeune Afrique.
Outre Macky Sall, l’homme bénéficie d’une clientèle large dans la classe politique africaine : l’opposant guinéen Sidya Touré en 2010, la présidence gabonaise en 2016, Idriss Déby Itno en 2018, le candidat à la présidentielle comorienne Sali Saadi en 2019, Aïssatou Issoufou, l’une des deux épouses de Mahamadou Issoufou, en 2018, Henri Konan Bédié, Adama Barrow, Faure Gnassingbé.
Au coeur du scandale qui secoue le PSG
Le voilà de nouveau qui refait surface mais cette fois dans l’affaire d’armée numérique qui entache l’image du PSG. Selon le journal en ligne Mediapart, entre 2018 et 2020, l’agence Digital Big Brother (DBB) aurait déployé de faux comptes Twitter pour mener des raids numériques contre des médias et des cibles du club de football parisien, qui conteste ces accusations.
Cette affaire replace sur le devant de la scène le lobbyiste franco-tunisien Lotfi Bel Hadj, 61 ans, qui contrôle avec son épouse DBB, basée en Espagne, et UReputation, une société tunisienne comptant 75 employés, spécialiste des « métiers cyber ». « Très intelligent » et doté d’un « bagout extraordinaire », cet homme d’affaires discret est « un excellent vendeur », dit à l’AFP un ancien associé, qui se souvient d’une « vie antérieure où Bel Hadj était encore à peu près raisonnable ».
L’entrepreneur commercialisait à l’époque une activité de veille sur les réseaux sociaux, réalisée depuis Tunis à un coût plus abordable qu’en Europe.
Mais, pour se développer, il n’a pas hésité à « franchir la ligne jaune », selon son ex-associé. « La limite (du métier de l’influence), ce sont les faux comptes. On sait pertinemment que faire des armées de +trolls+, ça vous retombe toujours dessus et sur vos clients », ajoute cette source.
L’affaire interroge à nouveau les méthodes utilisées par des communicants en ligne, deux mois seulement après le scandale ayant touché un cabinet français “d’intelligence économique », Avisa Partners, accusé également par Mediapart d’avoir manipulé l’opinion publique en écrivant pour le compte de grands groupes ou d’États de faux articles sur des blogs participatifs.
« Faiseur de présidents »
Pour UReputation, qui a compté parmi ses clients le groupement Optic 2000, Smovengo (prestataire des Vélib’ à Paris) ou le PSG et son actionnaire le Qatar, un premier avertissement était tombé en juin 2020, quand Facebook avait fermé 446 pages et 96 groupes administrés par l’entreprise, arguant du fait qu’ils visaient à peser, au prix d’infox, sur des élections en Afrique francophone.
Selon le laboratoire de recherche américain Digital Forensic Research Lab (DFRLab), les publications, dont des sondages trompeurs, soutenaient le président comorien Azali Assoumani, l’ex-président ivoirien Henri Konan Bédié, ou encore le président togolais Faure Gnassingbé.
« Cela semble avoir été motivé par le gain financier car il n’y a pas de continuité idéologique qui se dégage du contenu », estimait alors le DFRLab, une émanation du groupe de réflexion américain Atlantic Council.
Surnommé « le faiseur des présidents » dans les milieux de pouvoir africains, Lotfi Bel Hadj avait également orchestré en 2019 une campagne d’influence au profit de Nabil Karoui, magnat des médias et candidat malheureux à la présidence tunisienne face à Kais Saied, selon une enquête récente du site d’investigation tunisien Al-Qatiba.
Depuis, les bureaux de UReputation à Tunis ont été fermés et les employés dispersés entre l’Espagne et le Sénégal, mais des dizaines de comptes gérés par la société sur les réseaux sociaux restent actifs, selon le site d’information.
Pour Jean-Baptiste Soufron, avocat de UReputation en France, l’agence « n’a jamais été condamnée pour faire des faux comptes. Dans la partie qui les concerne sur Facebook, ils ont toujours été extrêmement prudents et n’ont jamais rien fait d’illicite », a-t-il déclaré à l’AFP. L’agence a d’ailleurs intenté des recours en France et en Tunisie contre Facebook.
« On fait ce que nous demande le client. C’est l’aspect moral qu’il faut discuter », estime pour sa part un ex-salarié, qui précise que l’agence s’était tout de même « fixé plusieurs lignes », notamment « l’interdiction de faire des « fake news » pendant la campagne tunisienne ».
Très actif soutien de l’islamologue suisse Tariq Ramadan, lorsque celui-ci a été mis en examen pour viol, Lotfi Bel Hadj possède aussi le site d’information francophone destiné aux musulmans Le Muslim Post. Il a par ailleurs écrit un essai sur l’économie du halal, « La Bible du Halal ».