Au Fouta, c’est la course à la déforestation. Les éleveurs et les paysans multiplient la coupe abusive du peu d’arbres à épines qui restent encore dans la zone frappée par l’avancée du désert. En attendant l’installation de l’hivernage qui est d’année en année moins pluvieux, les clôtures des champs sont déjà prêtes. Des clôtures faites de branches de jujubiers, de balanites aégyptiaca (soump), d’acacia. Ces coupes d’arbres ont un impact sur la pluviométrie qui ne cesse de diminuer. Pire cette année, les deux premières grandes pluies ont été enregistrées dans la deuxième semaine du mois d’août.
Par Demba NIANG – C’est un massacre en cours dans le Fouta : les arbres à épines, qui constituent les ¾ des espèces de la forêt au Nord, sont la cible des paysans et des éleveurs presque toute l’année. Durant la saison sèche, les bergers font la loi dans la forêt à cause de la rareté des pâturages. C’est le moment privilégié par eux pour élaguer les arbres afin de nourrir leurs animaux. L’acacia et ses gousses sont les premières victimes. Pour alimenter leur troupeau de gousses d’acacia, plusieurs branches se retrouvent par terre, coupées par des pasteurs. Chez eux, c’est comme si chaque espèce d’arbre à épines attend son tour pour être attaquée. Car après les abus sur l’acacia, viennent ceux sur les balanites aegytiaca (soump) et les jujubiers (ziziphus mauritiana) pour leurs feuilles et fruits.
Partout dans le Nord, la forêt est dans un piteux état. Hache à la main, les bergers coupent plusieurs espèces et les bêtes vont d’un arbre à un autre sans toucher aux branches au sol qui leur sont destinées. Silèye Dia, un vieux berger, reconnait cette situation : «Je viens de savoir que j’ai participé à la déforestation. En tant que jeune berger, on n’a jamais compris le combat des agents des Eaux et forêts, mais on est obsédés par la survie de nos troupeaux sur tout autre chose.»
Cette démolition de la forêt n’a toujours pas changé. Et les agents des Eaux et forêts, les seuls qui ont les moyens de dissuasion, qui ne sont pas nombreux (un agent par arrondissement) et avec peu de moyens, constatent chaque année à la saison sèche, une déforestation accrue. A la fin de la plus longue saison de l’année, d’autres acteurs du secteur primaire, les paysans, entrent en jeu dans cet abus contre les arbres à épines. Eleveurs comme paysans comptent sur la clémence du ciel pour pérenniser leur activité tout en oubliant que l’arbre favorise la bonne pluviométrie. Au Fouta, entre juin et juillet, les branches des arbres à épines sont coupées en grande quantité pour servir de haies mortes contre les divagations. Les cultivateurs rivalisent de champs fortement clôturés de branches d’arbres à épines (balatanites aegyptiaca, acacia et parfois les jujubiers). Dans cette même période, d’autres cultivateurs, dans le but d’aménager de nouveaux espaces pour l’agriculture, abattent plusieurs espèces et le peu épargné dans l’espace cultural se voit élagué de leurs branches. En mission pour la clôture de leurs champs familiaux sous l’arbre en pause, Abou brandit le permis de coupe délivré par le Service des eaux et forêts de Saldé. Il demande à son camarade, M. Ly, s’il en dispose car les paysans sont tout le temps interpellés par les agents des Eaux et forêts et leur hache confisquée en plus des amendes. Mais Abou est un des rares cultivateurs coupeurs de branches d’arbres à épines à disposer d’un permis de coupe. En préparation de leurs champs, ce sont des charrettes remplies de branches qui font la navette entre les champs et la forêt durant des semaines. Affecté récemment dans l’arrondissement de Saldé, un agent des Eaux et forêts explique : «La clôture des champs par des branches d’arbres à épines est une tradition et la délivrance des permis de coupe permet de rationaliser ces coupes. Car nous saisissons l’occasion pour sensibiliser les paysans qui viennent pour en avoir.» Il indiquait que les paysans doivent être appuyés pour disposer de grillage et de fils barbelés pour arrêter cette déforestation. «Mais, il faut trouver d’autres solutions surtout pour les bergers qui sont toujours mobiles», dit-il.
D’année en année, la déforestation prend des proportions à cause de l’action des éleveurs et des paysans. Des acteurs pourtant qui ont intérêt à ce que la forêt subsiste. Une forêt constituée dans la majorité d’arbres à épines fortement agressés dont les chiffres par an ne sont toujours disponibles mais qu’un tour dans la forêt à n’importe quelle saison permet de saisir l’ampleur. Laissant un paradoxe au Nord : ceux qui devaient être les amis de l’arbre sont ses ennemis et ce sont leur secteur d’activité qui en pâtit.