Sénégal : Dans la cour de la maison de Woury à Tivaouane, sous le manguier, le professeur Massamba Gueye, spécialiste de l’oralité interroge la doyenne et sa fille ainée, Maty : « Est-ce qu’il y a des histoires que ton papa et ta maman te racontaient quand tu étais enfant ? »
Woury Ba répond : « Durant la sécheresse, il y a un animal qui creuse un trou comme un puits et à la saison des pluies, le trou se remplit d’eau alors qu’il est à l’intérieur. Celui qui a le malheur de tomber dedans, c’est fini pour lui. C’est ce qu’on appelle « Téwrou », termite. »
Ces récits, racontés par les anciens, sont souvent des leçons de vie. L’histoire des termites permet par exemple aux enfants de se méfier des noyades à la saison des pluies. Maty, la fille aînée de Woury, a beaucoup appris. C’était son père, aujourd’hui décédé, qui lui contait. « Les histoires que mon père nous racontait quand on était un peu plus grands tournaient autour de comment se comporter envers les personnes âgées, ses voisins, comment gérer sa famille, et le fait d’être endurant pour en récolter les fruits à l’avenir », explique-t-elle.
Woury et Maty regrettent que ces moments se raréfient : « Tout cela a complètement disparu. On ne retient plus rien, on ne connaît plus rien. Les téléphones ont nui au monde. »
Pour faire perdurer les contes collectés, ils sont enregistrés puis stockés numériquement à la Maison de l’oralité Kër Leyti, en banlieue de Dakar, puis utilisés dans des émissions de radio et des podcasts.
« Montrer notre continuité culturelle et que les langues sont très nombreuses au Sénégal »
Les entretiens que Massamba Gueye fait sont des pans de vie, mais aussi une richesse pour comprendre ce qui lie les différentes ethnies sénégalaises. « Le travail de Kër Leyti, la maison de l’oralité et du patrimoine, c’est montrer notre continuité culturelle et que les langues sont très nombreuses au Sénégal, explique-t-il. C’est une force. Mais il faut qu’on comprenne que le répertoire immatériel de chaque communauté doit être étudié. C’est cela qui montre ce qui nous lie, et c’est ce qui est important ».
Il poursuit : « Plus j’avance dans les différentes communautés, plus j’entends de nouvelles langues et des traducteurs, plus je me rends compte que mon existence, en tant que fils du Ndiambour et du wolof, est extrêmement forte et que la nation sénégalaise n’est pas une fiction. C’est une réalité culturelle. C’est le conte autour de la hyène qui nous confirme que le caractère de la hyène qu’on a dans les contes wolofs est ce même caractère qui est dans les contes peuls. »
Il conclut : « Donc, en découvrant cette diversité-là, je découvre aussi l’unité de ce peuple dont les fondations culturelles sont les mêmes. Quand, dans un conte, une fille parle de ses tantes paternelles wolof, c’est très fort. C’est une communauté qui a existé et je viens chez les Peuls et on me parle de la communauté wolof. C’est cette continuité culturelle qui nous intéresse. »