Education sexuelle : Les réalités socioculturelles et religieuses encrées au Sénégal constituent, par moment, des obstacles dans les efforts d’amélioration de la santé de la population. C’est le cas de la santé de la reproduction, expression galvaudée, voire diabolisée, par une bonne partie de la population sous l’influence de certains acteurs de la société. Dans le but de lever le voile sur ces notions, l’ONG Planned Parenthood Global a organisé un séminaire de formation portant sur la clarification des valeurs et la transformation des attitudes destiné aux professionnels des médias et aux acteurs culturels. Profitant de l’occasion, Seneweb s’est entretenu avec Denise Emilie Ndour, experte en santé sexuelle et reproductive et manager en santé.
Quelle est l’importance d’être éduqué à la santé de la reproduction ?
Il faut d’abord noter que la connaissance de soi est très importante et ça rentre dans le cadre de la connaissance à l’éducation à la santé sexuelle et reproductive. La connaissance de soi implique la maîtrise des modifications de son organisme à l’âge de la puberté. Donc, le fait de connaître son organisme va permettre d’éviter beaucoup de problèmes qui sont d’habitudes relatives aux conséquences de la mortalité maternelle et infantile ; les grossesses non désirées ; les avortements provoquées ou les IST.
Quels sont les principales conséquences qui résultent de la méconnaissance de la santé sexuelle et reproductive ?
Le fait de ne pas être éduqué à la santé sexuelle et de la reproduction avec un accent sur la connaissance de soi a pour conséquence les grossesses non-désirées. Et l’une des conséquences d’une grossesse non-désirée est l’avortement provoqué. Et l’avortement provoqué conduit très souvent pour la plupart à des complications comme : la mortalité maternelle, comme les infections et la stérilité … Il y a aussi les infections sexuellement transmissibles (IST). Mais si on sensibilise, éduque et initie les jeunes à la connaissance de leur corps, je pense qu’on peut quand même éviter beaucoup de conséquences qui sont liées à la méconnaissance.
“Il ne faut pas attendre que l’adolescent commence à avoir ses règles et qu’il soit en activité sexuelle pour commencer à le sensibiliser”
Quelles sont les principales cibles de ces campagnes de sensibilisation sur la santé sexuelle et reproductive ?
Ce sont les adolescents, les femmes en âge de procréer mais aussi les hommes. Il ne faut pas aussi oublier que nous sommes dans une société où l’homme a le pouvoir de décision. Alors, si on ne les implique pas quelques fois, on a du mal à sensibiliser les femmes ou à avoir leur adhésion par rapport à la planification familiale. Dans la santé de la reproduction, il y a des thématiques qui sont assez importantes : la maternité, la planification, la contraception, les IST… Ce sont des thématiques qui sont assez importantes sur lesquelles on doit vraiment mettre un accent par rapport à la sensibilisation des hommes, des jeunes et des femmes en âge de procréer. Je pense qu’il faut aussi impliquer les parents qui sont tout le temps avec ces adolescents. Nous, nous complétons les messages que les parents peuvent donner à la maison mais si les parents eux-mêmes ne maîtrisent pas tout ce qui tourne autour de la santé de la reproduction c’est quelque fois difficile.
A quel stade faudrait-il, idéalement, introduire l’enseignement de la santé de la reproduction ?
Moi, je dis depuis le bas âge. Parce que, il ne faut pas attendre que l’adolescent commence à avoir ses règles et qu’il soit en activité sexuelle pour commencer à le sensibiliser. Il faut le faire bien avant ça pour le préparer à cette nouvelle vie pour qu’ils sachent qu’en entrant dans cette nouvelle étape, ils puissent prendre des dispositions nécessaires et qu’ils soient responsables de leurs actes et de leur corps.
“Nous assistons à beaucoup de grossesses non-désirées et le taux d’infection sexuellement transmissible chez les jeunes ne cessent de croître”
Il y a quelques années, plusieurs voix s’étaient élevées pour dénoncer l’introduction de modules sur l’éducation sexuelle et la santé de la reproduction. Pensez-vous qu’il est nécessaire que cela se fasse ?
Je pense même que c’est un impératif. Pourquoi ? je me rappelle que lorsqu’on était encore à l’école, on nous initiait à un programme qui s’appelait économie familiale. Dans ce programme, il y a des modules qui parlaient du cycle menstruel, de la sexualité, de la puberté… Et je pense que ça a beaucoup aidé notre génération à pouvoir prendre les dispositions nécessaires afin de ne pas être victime de certaines situations. Il y a lieu de remettre ce genre de formation dans les écoles pour que ça fasse partie des curriculums de formation. Il faut reconnaître que les jeunes passent plus de temps à l’école qu’à la maison et les enseignants doivent nous aider à pouvoir sensibiliser ces jeunes à l’école pour les préparer à une vie sexuelle plus responsable. Nous, nous pensons organiser des activités de sensibilisation dans les écoles. C’est très important et je prends l’exemple des jeunes filles qui sont les plus exposées. Même si elles ne connaissent pas leur cycle menstruel, elles ont un problème pour gérer leurs règles à l’école. Et quelques fois, ça constitue un frein pour les résultats scolaires. Les 3 ou 4 jours pendant lesquels elles voient leurs règles parfois elles sont perturbées de telle sorte qu’elles ne suivent parce qu’elles ne sont pas concentrées à cause du stress de ces règles.
Le gouvernement doit-il faire fi des croyances sociales et introduire ces programmes à l’école ?
Nous assistons à beaucoup de grossesses non-désirées et le taux d’infection sexuellement transmissible chez les jeunes ne cessent de croître. Il faut que ces jeunes là, puissent être bien sensibilisés et bien préparés pour qu’ils puissent prendre les dispositions. On se rend compte aujourd’hui, que l’âge du premier rapport sexuel est de 13 ans. Cet enfant qui est en activité sexuelle si on ne fait pas attention et qu’on ne lui explique pas le cycle menstruel et qu’on ne lui demande pas d’utiliser un préservatif, il risque d’être exposé aux IST et aux grossesses non-désirées. Ce n’est pas qu’on veuille pousser les jeunes au vagabondage sexuel mais quand la personne est informée, elle prend ses dispositions de telle sorte qu’elle ne subit pas certaines conséquences. Mais si, on les laisse à eux même la situation devient plus grave.
Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation dans le pays sur la santé de la reproduction, le sujet demeure toujours tabou. Pourquoi ?
En fait, c’est quelque fois des considérations religieuses et socioculturelles qui constituent des blocages et ça, ce n’est pas quelque chose que l’on peut régler dans l’immédiat. Nous sommes en train de mener des activités de sensibilisation et de communication pour remédier à cela. Ça a beaucoup avancé mais il reste encore des poches. A Dakar, les gens sont à un niveau intellectuel beaucoup plus élevé quand on fait les sensibilisations, on voit les résultats. Mais en zone rurale, il y a un blocage comme les considérations socioculturelles qui font que c’est vraiment difficile. Mais nous avons mis un dispositif qui nous permet d’agir à tous les niveaux surtout au niveau communautaire avec notamment les « Badiene Gokh » (relais communautaires) qui aident les prestataires de la santé à pouvoir communiquer avec ces populations. Mais il y a aussi ce que l’on appelle l’école des maris parce que dans ces zones, on se rend compte que les hommes sont ceux qui ont le pouvoir de décision et que quelque fois ils ne sont pas informés, ils entendent beaucoup de rumeurs et ne maîtrisent pas le sujet. Cette école permet d’impliquer ces hommes pour qu’ils puissent mieux comprendre la nécessité de les protéger d’une grossesse ou de les aider à avoir une santé sexuelle et reproductive améliorée et les préserver de la mortalité maternelle.
De nombreux acteurs de la société dont des religieux estiment qu’il s’agit de concepts importé de l’occident avec comme but la dégradation des valeurs sénégalaises…
Je pense que tout ça est lié au manque d’informations et de connaissances. Lorsqu’on parle de la santé de la reproduction c’est vrai que c’est importé mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas. Chacun utilise l’expression « santé de la reproduction » dans son dialecte. C’est comme l’avortement. Quand on parle d’interruption de grossesse, ça ne choque pas mais quand on dit avortement ça choque. C’est juste un jeu de mots et c’est le terme peut-être qui gêne mais en réalité, c’est le vécu de tous les jours. Il faut juste qu’on essaye de voir comment changer le terme pour que les personnes avec qui on communique puissent l’accepter et comprendre ce que l’on dit. Mais les religieux ne sont pas tout à fait contre la contraception, c’est juste que dans cet ensemble de pratiques contraceptives il y a la contraception naturelle qui est acceptée par la société. On implique les religieux dans nos communications pour parler de ça. Pour dire qu’une femme qui vient d’accoucher, religieusement, doit rester 2 ans avant de faire une autre grossesse. Et si je me réfère aux considérations socioculturelles, avant, quand la femme accouche, on l’emmenait chez ses parents pour y rester pendant 2 ans le temps d’allaiter son bébé avant de revenir dans son foyer. Donc, ça veut dire qu’ils savent que la contraception est une nécessité mais ce qu’ils ne cautionnent pas c’est le fait d’utiliser des produits pour faire une contraception.
N’y a-t-il pas lieu, dans ce cas, de revoir votre approche vis-à-vis des communautés ?
Oui, on est dans ça. Je vous ai parlé tantôt de l’école des maris qui, une fois sensibilisés, sont beaucoup plus conciliants et c’est eux-mêmes, quelques fois, qui prennent la décision d’accompagner leurs femmes chez la sage femme pour montrer leur adhésion. Parce qu’en amont, ils ont reçu des informations sur la santé de la reproduction qui font qu’ils prennent des décisions beaucoup plus responsables. Il y a aussi les visites à domicile par l’entremise des Badien Gokh qui, après un accouchement, se rendent souvent à la maison des parents pour sensibiliser la femme, le mari et la belle-mère qui constitue parfois un blocage.
Dans cette nouvelle approche, les hommes religieux sont-ils impliqués ?
On souhaite utiliser les hommes religieux dans ces campagnes comme des leaders du fait de leur influence. Si on parvient à les sensibiliser, je pense qu’ils peuvent être en phase avec nous par rapport à la mortalité maternelle. Si on lui dit que le fait que la femme se repose pendant 2 ans avant de faire une autre grossesse réduit le taux de mortalité maternelle, il peuvent être en phase avec nous. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est que les méthodes à utiliser soient des méthodes qu’ils cautionnent. Et je pense que c’est possible. Maintenant, si les religieux sont avec nous, ils mettront juste l’accent sur les méthodes naturelles car, ça fait partie des méthodes contraceptives. Si on veut que les religieux nous aident dans notre objectif, il faut qu’on aborde les sujets allant dans le sens de ce qu’il a comme conviction.
Pensez-vous, tout de même, avoir effectué plusieurs avancées depuis 2012 ?
Avec les objectifs du millénaire, je me rappelle qu’en 2012, on était à un taux de prévalence contraceptive de 12%. Aujourd’hui, on est en 2022, le taux de prévalence a largement évolué, il est à 26%. C’est quand-même une avancée mais ce n’est pas suffisant. L’objectif était d’aller jusqu’à 45%. Cependant, il faut reconnaître que le Sénégal, par rapport à d’autres pays de la sous-région, est en tête. D’ailleurs, les autres pays viennent s’inspirer de nous pour essayer de le mettre œuvre dans leurs pays. Certes, nous avons fait beaucoup d’efforts mais nous ne devons pas dormir sous nos lauriers au risque de perdre nos acquis.