Si le président n’a pas explicitement demandé à l’ex-chef du FBI d’abandonner l’enquête sur son ancien proche conseiller Michael Flynn, M. Comey a pris ses paroles « comme une instruction ».Véritable événement, son audition était attendue depuis des semaines. Plus de deux heures et demie durant, jeudi 8 juin, l’ex-directeur du FBI James Comey a raconté devant le Sénat américain les interventions du président Donald Trump dans l’enquête sur la Russie avant qu’il ne le limoge, au début de mai. La séance, retransmise sur toutes les grandes chaînes de télévision américaines, s’est ouverte dans une salle comble.
M. Comey, le visage fermé et mitraillé par les photographes, a d’abord lu une déclaration liminaire, déjà publiée mercredi, dans laquelle il raconte que le président Trump lui avait demandé d’abandonner l’enquête sur le général Michael Flynn, ancien conseiller à la sécurité nationale, mêlé à l’affaire de l’ingérence russe dans l’élection présidentielle, ce qui représente pour certains élus d’opposition une tentative d’entrave à la justice. « Les Américains ont besoin d’entendre votre version de l’histoire, a déclaré en ouverture le président républicain de la commission, Richard Burr. Nous établirons les faits, au-delà des spéculations. »
C’est la première fois que M. Comey, qui dirigeait la police fédérale depuis 2013, s’exprime en public sur les circonstances de son limogeage, alors que son mandat courait jusqu’en 2023.
Un ordre non explicite mais « interprété comme une instruction »
Donald Trump n’a pas explicitement demandé à l’ex-chef du FBI d’abandonner l’enquête sur Michael Flynn, mais James Comey a pris les paroles du président « comme une instruction », a-t-il affirmé jeudi durant son témoignage.
Interrogé par la sénatrice démocrate Dianne Feinstein sur les propos de Donald Trump qu’il avait rapportés dans sa déclaration écrite — « J’espère que vous pourrez trouver une façon d’abandonner cela, de lâcher Flynn, un personnage central de l’affaire russe » —, M. Comey en a justifié la pertinence : « La raison pour laquelle je continue de dire ces mots, c’est que je les ai interprétés comme une instruction », a-t-il dit.
La séance, retransmise sur toutes les grandes chaînes de télévision américaines, s’est ouverte dans une salle comble.
A la question de savoir si les propos de M. Trump constituaient une « entrave » à la justice, l’ancien directeur du FBI a répondu qu’il était « sûr que le procureur indépendant » nommé par le ministère de la justice sur l’affaire russe, Robert Mueller, « travaillerait à cette conclusion pour trouver l’intention et savoir si c’est un délit ».
Comey dit que Trump ne lui a pas demandé d’« arrêter » l’enquête sur la Russie
M. Comey a également jugé que les demandes de M. Trump à son égard étaient « très dérangeantes », mais que ce n’était pas son rôle de déterminer si le président avait fait entrave à la justice :
« Je ne pense pas que ce soit à moi de dire si la conversation que j’ai eue avec le président était une tentative d’obstruction. »
Il a aussi dit que M. Trump ne lui avait pas demandé d’« arrêter » l’enquête sur la Russie. « Directeur Comey, est-ce que le président vous a demandé à un quelconque moment d’arrêter l’enquête du FBI sur l’ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 ? », lui a demandé M. Burr. « Non », a répondu l’intéressé. Dans une séquence fortement dommageable pour M. Trump, M. Comey a également expliqué qu’il avait commencé à écrire des rapports sur ses rencontres avec le président parce qu’il craignait qu’à l’avenir M. Trump mente sur le contenu de ses discussions avec le directeur du FBI.
Comey compte sur d’éventuels « enregistrements » de ses conversations avec Trump
M. Comey a également dit qu’il espérait bien que ses conversations avec le président avaient été enregistrées, comme le milliardaire l’en avait menacé dans un tweet. « J’ai choisi mes mots avec soin. J’ai vu le tweet sur les enregistrements. J’espère bien qu’il y a des enregistrements », a déclaré James Comey.
Plus tôt, ce dernier avait également directement accusé l’administration Trump de « mensonges » et de « diffamation ».
« Bien que la loi n’exige aucun motif pour renvoyer un directeur du FBI, l’administration a choisi de me diffamer ainsi que le FBI, et c’est le plus important, en affirmant que l’agence était en déroute, qu’elle était mal gérée, et que les employés avaient perdu confiance dans leur directeur. Ce sont des mensonges purs et simples. »
Ayant « craint honnêtement que [M. Trump] ne mente sur la nature de nos rencontres », M. Comey a expliqué avoir donc « pensé que c’était très important d’en garder la trace », raison pour laquelle il a consigné par écrit ses échanges avec le président dès leur première rencontre, au début de janvier, à la Trump Tower.
Comey a lui-même organisé les fuites à la presse
M. Comey a également avoué avoir lui-même organisé, après son limogeage, les fuites à la presse de notes sur ses rencontres avec le président afin de provoquer une enquête indépendante sur les ingérences russes dans l’élection.
« J’ai demandé à un de mes amis de remettre le contenu de mes notes à un journaliste. Je ne l’ai pas fait moi-même pour différentes raisons, mais je l’ai fait parce que je pensais que cela pousserait à la nomination d’un procureur spécial » indépendant, a dit M. Comey.
De fait, Robert Mueller (ancien directeur du FBI) a été nommé le lendemain de la fuite pour faire toute la lumière sur l’ingérence russe dans l’élection et sur l’éventuel rôle de l’entourage de M. Trump.
L’avocat de Trump riposte et évoque d’éventuelles poursuites
A l’issue de l’audition de M. Comey, l’avocat personnel de Donald Trump a affirmé que ce dernier n’avait jamais exigé de l’ex-directeur du FBI sa « loyauté ». « Contrairement à nombre de fausses informations diffusées par la presse, M. Comey a enfin confirmé publiquement ce qu’il avait dit au président en privé : le président ne faisait pas l’objet d’une enquête dans le cadre des investigations sur une possible interférence russe (dans l’élection de 2016) », s’est félicité Marc Kasowitz lors d’une conférence de presse.
S’il s’est appuyé sur certaines déclarations de l’ex-directeur du FBI qui sont selon lui favorables à son client, Me Kasowitz en a en revanche contesté d’autres. « Sur le fond comme sur la forme, le président n’a jamais dit à M. Comey “J’ai besoin de loyauté, je m’attends à de la loyauté” », a-t-il dit, reprenant les propos de ce dernier. Il a par ailleurs assuré que M. Trump n’avait jamais demandé ou suggéré à M. Comey de mettre fin à une enquête sur qui que ce soit.
L’avocat de M. Trump évoque par ailleurs d’éventuelles poursuites contre l’ex-patron du FBI, qui a révélé avoir fait fuiter à la presse ses notes sur ses rencontres avec le président. Evoquant la divulgation « non autorisée » de ces informations, il a souligné qu’il appartenait aux « autorités compétentes » de déterminer si ces éléments devaient faire l’objet de poursuites.
M. Trump n’a pour sa part pas répondu directement aux accusations explosives de M. Comey, mais il a tenté de rassembler ses partisans autour d’un message de défiance. « Nous allons nous battre et gagner », a-t-il dit dans une allocution lors d’un sommet rassemblant des gouverneurs et des maires, tandis que l’audition se poursuivait.
M. Trump « n’est pas un menteur », s’est vue obligée de dire une porte-parole de la Maison Blanche. « Je peux affirmer avec certitude que le président n’est pas un menteur et franchement je me sens insultée par cette question », a lancé Sarah Huckabee Sanders au cours d’un point de presse.