Le déferlement de la violence des gangs armés dans la capitale haïtienne continue de forcer des Haïtiens à fuir leur maison. Au moins 5 000 résidents du quartier de Carrefour-Feuilles, en proie ces dernières semaines aux assauts des bandits de Gran Ravine, ont dû abandonner leur domicile. Les violences des bandes armées ont fait plus de 2 400 morts depuis le début de l’année, a indiqué l’ONU vendredi.
Pas de répit pour les Haïtiens ces derniers jours. La situation était très tendue dans le nord de Port-au-Prince, où des crépitements d’armes ont retenti durant toute la nuit de mercredi à jeudi. Dans l’après-midi du jeudi 17 août, des tirs ont également été entendus dans le quartier de Solino, situé au cœur de la capitale haïtienne.
Dans le quartier de Carrefour-Feuilles, de nombreuses personnes qui ont fui se sont réfugiés au gymnase Vincent qui se trouve au cœur de la capitale, rapporte notre correspondante à Port-au-Prince, Marie-André Bélange. Parmi elles, beaucoup de femmes âgées et des enfants. Si les autorités leur fournissent des plats chauds et un accès à de l’eau pour se laver, presque toutes dorment à même le sol. « La situation est très difficile, témoigne un jeune de Carrefour-Feuilles. Les bandits m’ont poussé à partir de chez moi. Les activités sont totalement paralysées. Je demande aux autorités de mettre ces malfrats hors d’état de nuire et de sécuriser la zone. Les bandits ont incendié des maisons alors que la population vivait déjà difficilement. »
Un autre habitant explique qu’il a entendu les membres des gangs entrer dans les maisons de ses voisins, avant de les violer et les tuer. « Ensuite, ils ont pillé les maisons. Et tout ce qu’ils ne pouvaient pas prendre, ils l’ont brûlé, raconte-t-il. Imaginez mon enfant de neuf ans qui a été de témoin de ces scènes ! Il sera traumatisé pour le reste de sa vie. Même moi, je suis traumatisé. Je me pose la question de savoir si je ne devrais pas aller voir un psychologue, parce que je sens que je deviens fou. »
06 HAITI _Son témoignage habitant Carrefour-Feuille 5h-8h
D’autres habitants de Carrefour-Feuilles ont réussi à mettre leurs familles à l’abri pour retourner eux-mêmes sur place et défendre leurs maisons. « Nous n’avons pas de moyens, mais on crée des stratégies comme une brigade vigilance, munis de nos machettes et accompagnés par quelques policiers qui habitent dans la zone. Ce n’est pas suffisant parce que les policiers de la zone n’ont pas de moyens. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de munitions, pas eu de moyens pour combattre les gangs, car ils ont de plus gros calibres. »
Allongée sous une tente à l’entrée du gymnase Vincent, une jeune femme est entourée de ses quatre enfants en bas âge. La tristesse se lit sur son visage. Des bandits armés ont fait irruption chez elle et ont tué sa sœur, qui refusait de laisser la maison. « Je ne me sens pas bien, car je suis asthmatique, il fait chaud sous la tente. J’ai laissé ma maison depuis dimanche. Ici, on nous donne à manger, mais c’est difficile. Je n’ai pas encore pu me doucher et je n’ai même pas eu le temps de prendre des vêtements. »
L’assistance aux personnes déplacées
Jerry Chandler, directeur de la protection civile, explique que les personnes contraintes de quitter leur maison sont éparpillés sur une dizaine de sites. « On dénombre beaucoup de femmes et d’enfants qui sont victimes, précise-t-il. Il y a des distributions de plats chauds, particulièrement au gymnase Vincent. Nous continuons à travailler avec nos partenaires afin d’accompagner les sinistrés. C’est en ce sens qu’on a commencé à fournir une assistance alimentaire aux déplacés. Il y a un ensemble d’actions en cours, notamment avec la direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement. Elle se charge de la gestion de l’eau. »
Selon Jerry Chandler, une discussion est en cours avec le ministère de la Santé publique pour cibler les déplacés qui ont des problèmes de santé. « Nous avons répertorié des personnes hypertendues ou qui ont des maladies chroniques. Le ministère doit organiser leur évacuation vers des centres de santé avec le soutien du Centre ambulancier national afin qu’elles puissent recevoir des soins », explique le directeur de la protection civile.
Une réponse des autorités jugée insuffisante
Beaucoup de citoyens accusent le gouvernement de ne pas envoyer les renforts nécessaires. « C’est comme si les autorités nous livraient à la boucherie. Le soir, on ne peut pas dormir, les bandits attaquent les gens, les femmes âgées, les femmes enceintes, les enfants. Ils reculent seulement quand leurs munitions commencent à diminuer. C’est le chaos », explique un habitant.
« Le gouvernement a l’obligation de protéger la population. Le gouvernement doit intervenir pour rétablir l’ordre et la sécurité. Toutefois, il faut souligner que la police est sous-équipée et ne peut pas mener plusieurs opérations simultanées », observe Jean Gédéon, du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’Homme (Cardh).
Le Cardh réitère son appel au renforcement de la police nationale. Ses membres se disent préoccupés en tant que militants de droits humains, professionnels, mais aussi et surtout en tant qu’Haïtiens du fait que Port-au-Prince soit presque assiégée par les gangs. Ils déplorent que des mesures n’aient pas été adoptées pour limiter les dégâts. « Nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles, donc nous plaidons pour qu’enfin, la coopération internationale fasse quelque chose, afin que l’ordre puisse se rétablir dans la communauté. C’est vraiment le seul moyen de résoudre des problèmes quand la police n’a pas les moyens appropriés pour protéger la vie, pour protéger les biens », insiste Jean Gédéon.
Selon un premier bilan provisoire, au moins 5 000 habitants ont fui Carrefour-Feuilles devant l’avancée des gangs armés et « entre le 1er janvier et le 15 août de cette année, au moins 2 439 personnes ont été tuées et 902 autres blessées », a déclaré la porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Ravina Shamdasani, lors du briefing de l’ONU à Genève.
« Donc, ça donne un cadre légal à cette force et une légitimité internationale, explique le conseiller à l’International peace institute. Mais cela dit, elle ne serait pas sous Casque bleu comme l’étaient les Casques bleus de la Minustah, la force des Nations unies qui était déployée en Haïti depuis 2004. Le cadre serait défini par le Conseil de sécurité, c’est-à-dire les membres du Conseil de sécurité à travers une résolution. Ça serait à eux de déterminer les effectifs de cette force, mais surtout la durée, ce qui veut dire qu’à l’échéance de la résolution, il y aurait une nouvelle session du Conseil de sécurité qui envisagerait de la prolongation de la force et qui aussi permettrait d’avoir une certaine redevabilité de cette force au Conseil de sécurité, qui l’aura autorisé. »
Pourquoi l’autorisation du Conseil est particulièrement importante ? « Parce qu’il y a quand même un défi de consensus national. C’est d’ailleurs ce qu’a soulevé Antonio Guterres dans son rapport: l’importance d’un dialogue politique inter-haïtien, dans le cadre duquel la force serait déployée également », conclut Arthur Boutellis.