Somalie : Will My Parents Come To See Me, du jeune réalisateur Mo Harawe, a remporté le Grand prix international du 45e Festival du court métrage à Clermont-Ferrand, en France, le plus grand festival au monde dans son genre. Cette fiction a été tournée en Somalie et en somali, la langue officielle du pays.
Dans sa fiction couronnée, Will My Parents Come To See Me, Mo Harawe raconte la dernière journée d’un condamné à mort, Farah. Le sujet est grave, la lenteur apparente des images cache la terreur de l’exécution qui se rapproche en accéléré. Chaque scène méticuleusement filmée tente à se graver dans la mémoire des spectateurs.
Mo Harawe a tourné son film de 28 minutes en somali, la langue officielle de la Somalie, mais pour le jeune réalisateur de 30 ans, il ne s’agit pas de dénoncer la situation dans un pays en particulier. Son approche revendique une dimension universelle : rendre visible l’absurdité de l’exécution de la peine de mort, que ce soit aux États-Unis, en Chine, en Iran, en Arabie saoudite ou dans son pays natal, la Somalie.
Né en 1992, à Mogadiscio, Mo Harawe a fui la Somalie pour se réfugier en 2009 en Autriche. C’est là qu’il a commencé sa carrière cinématographique avec plusieurs courts métrages primés dans des festivals, comme The Story of the Polar Bear That Wanted To Go To Africa (2018) ou Life on the Horn (2020). Aujourd’hui, il poursuit ses études à l’université des arts de Kassel, en Allemagne. À l’occasion de l’attribution, le 4 février, du Grand Prix international du Festival du court métrage à Clermont-Ferrand, nous republions l’interview qu’il nous avait accordé après sa nomination en compétition officielle à la Berlinale, en janvier 2022, là où la carrière internationale de son film a commencé.
RFI : Votre film montre le dernier jour de Farah, un condamné à mort. Est-ce une personne inventée ?
Mo Harawe : C’est un personnage fictif, mais représentatif de nombreux autres condamnés à mort, dont de très nombreux jeunes. J’ai concentré différentes histoires en un seul personnage.
Pourquoi la peine de mort est-elle un sujet qui vous intéresse ?
Ce thème a toujours été présent d’une manière ou d’une autre pendant mon enfance. J’en ai toujours entendu parler. Avec le recul, je dirais qu’il m’a toujours pesé indirectement, sans que je le sache. C’est pourquoi je voulais faire quelque chose sur ce sujet. Peut-être que c’est une sorte de thérapie pour moi.
Le titre Will My Parents Come To See Me est le dernier souhait, la dernière question du condamné à mort. Avec ce film, avez-vous voulu réaliser ce souhait ou le souhait d’un condamné ?
Pas nécessairement. C’est simplement un moment sans espoir, parce que ce n’est pas non plus si simple pour les parents. Cela se voit aussi dans cette situation désespérée au sein du système somalien. Je voulais poser la question : qui a ou qui devrait avoir la responsabilité : l’État, les parents, la société ?
L’exécution de la peine de mort suit un protocole minutieux. Ce que nous suivons ici, étape par étape, sur grand écran, en tant que spectateurs, est-il typique de la situation en Somalie ?
La peine de mort existe dans de nombreux autres pays. Mais je voulais le montrer à travers la Somalie.
Lorsque nous suivons dans votre film la préparation et l’exécution de cette peine de mort, nous avons souvent l’impression d’assister à une pièce de théâtre, car tout est mis en scène de manière très précise et efficace. Une véritable dramaturgie. C’est ainsi que vous avez mis en scène cette histoire ?
Oui, je l’ai mis en scène de cette manière parce que je ne voulais pas seulement raconter un arc narratif, mais donner aux spectateurs un espace pour qu’ils puissent se faire leur propre jugement, sentir des choses et avoir leur propre point de vue. Je ne voulais pas qu’ils se contentent de regarder et de passer à autre chose. Dans le film, ils sont obligés de regarder vraiment et de s’immerger inconsciemment dans cet univers. C’était l’idée de cette mise en scène et des longs plans-séquences… Le spectateur doit regarder le film activement et non pas passivement.
La cellule de prison, le dernier repas du condamné dans la salle à manger, le lieu d’exécution, ce sont des endroits très impressionnants. Où avez-vous tourné ce film ?
En Somalie. Les lieux de tournage sont authentiques, à l’exception de la cellule de prison que nous avons construite nous-mêmes pour des raisons techniques de tournage. Tout le reste était des lieux réels dans le nord-est de la Somalie.
Un condamné à mort fait partie des rares personnes dont on sait exactement quand elles vont mourir. Il s’agit d’un moment programmé qui se situe entre la vie et la mort. Qu’est-ce qui vous intéressait le plus ? La mort à venir ou la vie encore en cours, par exemple lorsque le condamné, pendant le transport vers l’exécution, regarde encore avec beaucoup de curiosité par la fenêtre ?
Tout ce qui se passe d’ici là m’intéresse. Il reste curieux, parce qu’il n’a pas encore compris qu’il va mourir. Il ne le réalise qu’à quelques mètres du poteau d’exécution – et c’est aussi le cas dans la réalité. Les condamnés ne réalisent la peine de mort que lorsqu’ils sont sur place, c’est-à-dire là où ils seront abattus ou pendus.
Le fait qu’il soit ensuite abattu conduit également à une situation où il apparaît clairement que, même si le protocole est là, même si tout se passe « légalement », tout cela n’est pas « normal ». Comment montrez-vous cette anormalité ?
Tout est contradictoire. Tout ce que font les personnages du film est contradictoire. J’espère que cela apparaîtra clairement dans le film. Il suffit de regarder consciemment pour voir que ce n’est pas normal. C’est ce que nous avons essayé de faire avec la caméra : regarder consciemment.
Oui, c’est absurde. Mais le principe de la peine de mort est que le mal que tu as fait est compensé par la mort. Tout le processus qui l’entoure montre l’absurdité de la chose. Si tu es malade ou si tu meurs normalement, on considère que tu n’as pas payé cette dette. Le film montre à quel point cette logique est absurde. La dette n’est payée que si tu es exécuté en bonne santé.
Vous êtes né en Somalie et vous êtes arrivée en Autriche, il y a douze ans. Aujourd’hui, vous étudiez en Allemagne, à l’université des arts de Kassel. Avons-nous vu aujourd’hui le film d’un cinéaste somalien, un film somalien ?
Cela dépend toujours du sujet sur lequel je travaille. Dans ce cas, parce que ce thème a toujours été présent pour moi depuis mon enfance, je dirais que c’était aujourd’hui le film d’un cinéaste somalien. Pour un autre sujet, qui se déroulerait en Autriche, ce serait différent. Mais là, c’est le film d’un cinéaste somalien.