En Allemagne, Macron estimé le seul responsable d’une « débâcle »
Du côté du premier partenaire français et l’autre moitié du couple essentiel à l’Union européenne, l’Allemagne avait les yeux rivés de l’autre côté du Rhin. « La fin du macronisme » : pour le quotidien conservateur Die Welt, c’est une page qui se tourne en France. Le journal de Munich Süddeutsche Zeitung parle d’une césure historique, rapporte notre correspondant à Berlin, Pascal Thibault.
Emmanuel Macron en prend pour son grade dans les commentaires à chaud : « Par sa dissolution, il a ouvert les portes du pouvoir au RN », estime le magazine Die Zeit. Le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine lui juge le président français seul responsable de cette « débâcle » : « Un chef de l’État qui sans nécessité dissout et se prive de sa majorité ne peut pas espérer une mention positive dans les livres d’histoire », assène le journal. Il s’inquiète pour les conséquences internationales des législatives françaises : « la France pourrait être pour des années aux abonnés absents en Europe et au sein de l’Otan. Seule la Russie peut s’en réjouir. »
La classe politique est restée très prudente. La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock a néanmoins souligné la gravité de tels résultats pour l’Europe, même si elle a insisté « ne pas vouloir commenter le scrutin » en lui-même.
On ne peut rester indifférent quand chez nos voisins un parti qui voit l’Europe comme le problème et non la solution arrive largement en tête.
L’ancien ministre allemand des Affaires européennes et actuel président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, le social-démocrate Michael Roth a également réagi, estimant que « Cela ressemble à une nouvelle gifle pour Macron, l’Europe et l’amitié franco-allemande ». Le social-démocrate estime que son pays porte une part de responsabilité dans le résultat des législatives françaises : « Nous nous sommes trop peu demandé comment nous pouvions plus soutenir le pro-européen Macron. Nous ne tenons pas suffisamment compte des débats politiques et des problèmes dans d’autres pays. »
L’UE inquiète d’un affaiblissement et d’une cacophonie venue de Paris
Au siège de l’Union européenne à Bruxelles, aucune réaction n’a eu lieu dimanche soir : officiellement, les institutions et les autorités européennes gardent le silence et elles continueront encore à le faire après ce premier tour, rapporte notre correspondant à Bruxelles, Jean-Jacques Héry.
Mais Bruxelles craint l’arrivée du Rassemblement national, parti anti-européen, à la tête du gouvernement d’un des membres fondateurs de l’UE. D’autant que la France est également à la fois deuxième contributeur au budget de l’Union européenne et son deuxième pays le plus peuplé. De plus, le partage du pouvoir au sommet de l’exécutif français pourrait affaiblir la position du président Emmanuel Macron, qui continuera à siéger au Conseil européen. Cela en plus du risque d’avoir une cacophonie entre représentants français, menant à une politique européenne plus floue.
Le Premier ministre polonais Donald Tusk, redoute des conséquences en Ukraine
L’ancien président du Conseil européen s’est notamment inquiété « d’une tendance dangereuse » pour l’Europe, dans le contexte d’une montée des droites radicales sur le continent et de l’influence russe au sein de ces partis.
Je n’ai pas besoin de dire à quoi ressemblera l’Europe si des personnes favorables à Poutine ou anti-ukrainiennes devaient prendre le pouvoir en Europe.
L’Ukraine inquiète du soutien de Paris
Mais parmi les sujets qui inquiètent Bruxelles, il y a la question du soutien à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Cela notamment dans le contexte où le parti de Marine Le Pen a affiché depuis longtemps sa proximité avec la Russie, que ce soit via des prêts contractés auprès de banques russes ou lorsque la cheffe de file de l’extrême droite française a été reçue par le président Vladimir Poutine.
Cette proximité du RN vis-à-vis du Kremlin est une grande inquiétude pour Kiev également, Paris ayant été l’un des soutiens les plus constants de l’Ukraine dans son effort de guerre.
Si les médias de Kiev n’ont pas encore réagi dimanche soir 30 juin aux résultats des élections en France, mais la situation politique française est suivie de très près à Bankova, le siège de la présidence ukrainienne à Kiev, rapporte notre correspondant à Kiev, Stéphane Siohan : cette semaine, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a en effet souhaité glisser des messages à l’opinion française, se disant convaincu « que le gouvernement français issu des élections continuerait de soutenir l’Ukraine, quelle que soit la nouvelle donne politique, à la fois sur le champ de bataille et sur le chemin de l’adhésion à l’Union européenne ».
Ce faisant, Volodymyr Zelensky adopte une attitude prudente. Un peu la même que lorsqu’on l’interroge sur la perspective d’une élection de Donald Trump aux États-Unis cette année.
L’arrivée d’un nouveau gouvernement, à Paris, sera forcément scrutée de très près à Kiev, car les enjeux sont majeurs pour l’Ukraine. Le président Emmanuel Macron, depuis quelques mois, a affirmé un leadership de plus en plus fort en Europe dans le soutien à l’Ukraine, avec notamment l’annonce de l’envoi d’avions de chasse Mirage 2000 en Ukraine et la possibilité entrouverte de déployer des personnels militaires de formation sur le territoire ukrainien.
De nombreux candidats RN visés par des sanctions ukrainiennes après des visites en Crimée ou dans le Donbass
Mais la perspective d’un gouvernement RN en France pourrait totalement changer la donne, car Jordan Bardella a bien entendu affirmé qu’il y avait des « lignes rouges ». Ces lignes rouges sont notamment le déploiement de personnels militaires français en Ukraine et également les frappes avec du matériel occidental sur le territoire russe. Cela alors que le président ukrainien cherche justement à avoir l’autorisation explicite de frapper des installations militaires sur le territoire russe, comme les aérodromes d’où partent les avions qui bombardent l’Ukraine quasiment tous les jours.
Une autre question se pose : celle du personnel politique qui pourrait arriver au gouvernement français. Une quinzaine de candidats sur les listes RN pour les élections sont visés par des sanctions de la part de l’Ukraine pour s’être rendus en Crimée, en Fédération de Russie ou bien dans le Donbass lors d’élections. On parle notamment de personnalités comme Thierry Mariani ou Pierre Gentillet : si ces personnes devaient jouer un rôle un peu plus important dans un gouvernement RN, cela pourrait poser des problèmes diplomatiques extrêmement sérieux entre l’Ukraine et la France.
Dirigée par l’extrême droite, l’Italie divisée entre inquiétude et félicitations
Du côté de Rome, cette percée du Rassemblement national est particulièrement scrutée. Car l’Italie avait déjà franchi le pas et placé l’extrême droite au pouvoir avec Georgia Meloni comme cheffe du gouvernement, rapporte notre correspondante à Rome, Anne le Nir.
Alors les débats télévisés y font émerger des sentiments d’inquiétude face à l’éventualité d’une victoire du Rassemblement national au second tour des législatives. Cette victoire pourrait « modifier le destin de l’Europe », d’après l’ancien président du Conseil Enrico Letta, invité de la chaîne privée LA7. « Les jeunes sont encore ouverts, mais si le RN sort victorieux le 7 juillet, le gouvernement Meloni durcira sa position contre les choix pour les postes clés de l’Union européenne », poursuit-il.
Du côté des responsables politiques actuellement au pouvoir, le chef de la Ligue Matteo Salvini – grand allié historique de Marine Le Pen – a été le premier à s’exprimer. Il a félicité le Rassemblement national pour son succès en tweetant : « Tous mes compliments à Marine Le Pen. Honte à Macron qui sollicite un large rassemblement contre le RN et se comporte comme Von der Leyen en cherchant à s’opposer au changement ».
Réagissant au lendemain des élections, la Première ministre italienne Giorgia Meloni s’en est réjouie lundi 1er juillet en affirmant que la « diabolisation » de l’extrême droite ne fonctionne plus. Si son parti d’extrême droite Fratelli d’Italia n’appartient pas au même groupe que le RN au Parlement européen, les deux formations restent alliées et proches sur beaucoup d’aspects. « La tentative constante de diaboliser les gens qui ne votent pas à gauche (…) est un piège dans lequel tombent de moins en moins de gens, a déclaré la cheffe du parti lui aussi d’extrême droite Fratelli d’Italia à l’agence Adnkronos. Nous l’avons observé en Italie, on le voit de plus en plus en Europe et dans tout l’Occident ».
En Espagne, le Premier ministre socialiste veut croire en la mobilisation de la gauche
Le Premier ministre espagnol socialiste a indiqué, lundi 1er juillet, qu’il gardait « espoir en la mobilisation de la gauche française » après le premier tour des élections législatives, estimant qu’il fallait battre l’extrême droite « en gouvernant (…) comme l’Espagne le fait depuis six ans ». Sur la radio Cadena Ser, Pedro Sánchez a souligné, indique l’AFP, « l’importance de miser sur des politiques progressistes, sur des gouvernements progressistes qui démontrent, comme le fait le gouvernement espagnol, que les mensonges et les fake news peuvent être déconstruits ».