Depuis l’arrestation du leader du Hirak Nasser Zefzafi, la jeune femme de 36 ans est devenue le porte-voix des rassemblements nocturnes à Al-Hoceima.
Cheveux lâchés, micro en main, la jeune femme harangue la foule de plusieurs milliers de personnes venues se rassembler pour le cinquième soir consécutif dans le quartier de Sidi Abed, à Al-Hoceima. « Je m’adresse à tous les Marocains : le Rif saigne ! L’Etat nous opprime. Tous les droits des Rifains sont bafoués, lance la militante sous les applaudissements. Mais nous allons continuer à lutter contre cette injustice. Ils peuvent arrêter autant de militants, de jeunes et de femmes qu’ils veulent, nous n’allons pas baisser les bras. » En bas de la rue, des dizaines de véhicules de police et de forces anti-émeutes barrent l’accès au centre-ville.
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Nawal Ben Aissa, 36 ans, est-elle le nouveau Nasser Zefzafi ? Trois jours après l’arrestation du charismatique leader du Hirak, le mouvement social qui secoue le Rif depuis sept mois, la jeune mère de famille – elle a quatre enfants âgés de 4 à 13 ans – semble en tout cas s’imposer comme la figure montante de la contestation. C’est elle qui tient désormais le rôle de porte-voix dans les manifestations qui se tiennent chaque soir après la rupture du jeûne du ramadan dans cette ville du nord du Maroc.
Mercredi 31 mai, la militante recevait la presse dans un café qui surplombe la baie d’Al-Hoceima en se prêtant volontiers aux questions des journalistes, encore un peu surprise de sa soudaine célébrité. « Je n’appartiens à aucun parti, aucune association ni syndicat », prévient-elle, l’une de ses filles à son côté. En jeans et nu-pieds, un tee-shirt à l’effigie d’Abdelkrim Al-Khattabi, figure historique de la résistance du Rif contre le colonisateur français, elle raconte être venue au mouvement (« hirak » en arabe) par son engagement en tant que bénévole auprès de femmes malades du cancer.
« Nous n’avons pas d’hôpital capable de soigner celles qui ont un cancer du sein. J’en ai rencontré qui ne pouvaient même pas se payer des analyses à 100 dirhams [9 euros] », explique-t-elle. A l’aide de petites vidéos publiées sur Facebook, elle s’efforce de mobiliser. « J’ai aidé à porter la voix des femmes, à obtenir de l’aide de nos concitoyens à l’extérieur », précise-t-elle, en référence à l’importante diaspora rifaine vivant notamment en Belgique.
Après cette expérience, Nawal Ben Aissa s’est naturellement retrouvée dans le Hirak, un mouvement qui revendique davantage d’investissements de l’Etat dans la région : un hôpital, une université, des emplois. Elle le reconnaît : « Le Rif est une région conservatrice. » « Ce qui n’empêche pas les femmes de sortir et de revendiquer », ajoute-t-elle. Pour elle, hommes et femmes sont d’ailleurs confrontés aux mêmes difficultés : le chômage, le manque d’infrastructures, la hogra (« l’arbitraire »). Fille d’une famille de six enfants, elle explique avoir dû arrêter ses études car son père n’avait pas les moyens de l’envoyer à l’université. Son mari, chauffeur de taxi, ne fait pas partie du Hirak, mais « il est fier de moi », sourit-elle.
Si, aujourd’hui, les femmes sont nombreuses dans les rassemblements nocturnes, cela n’a pas toujours été le cas. « Elles ont vraiment pris leur place à partir du 8 mars [la Journée internationale des droits des femmes]. On a manifesté, pas pour célébrer cette journée, mais pour dénoncer notre situation », explique-t-elle. Leur présence est devenue massive à partir du 26 mai. « Après les arrestations de militants, les femmes n’avaient plus le choix. Elles devaient sortir dans la rue pour soutenir leur mari et leurs enfants. »
Des centaines de personnes manifestent dans les rues d’Al-Hoceima, dans le Rif, le 31 mai 2017.
Quelques heures plus tard, Nawal Ben Aissa a à nouveau pris le chemin du quartier de Sidi Abed, pour une nouvelle manifestation et l’annonce d’une grève générale de trois jours. A-t-elle peur d’être arrêtée ? « Non, je n’ai pas peur. A tout moment, je peux être emprisonnée. Mais ce serait un honneur, car je défends des droits universels », martèle la militante, qui ajoute : « Ce sont mes parents qui ont peur pour moi, mais ils comprennent. J’ai parlé avec mon mari, mes enfants et ils sont conscients qu’ils ont droit à une vie décente. » Jeudi 1er juin au matin, la jeune femme a été convoquée au poste de police. Elle s’y est rendue, accompagnée de son mari, pour y être interrogée, avant d’en ressortir au bout d’une heure.