« Tout ira bien », a promis le chef du Kremlin en direct à la télévision, jeudi, sans indiquer s’il se représenterait à la présidentielle en 2018.
A deux reprises, le 26 mars et le 12 juin, des milliers de Russes ont manifesté contre la corruption à travers tout le pays, à l’appel de l’opposant Alexeï Navalny. A Moscou et à Saint-Pétersbourg, ces rassemblements atypiques, qui ont attiré beaucoup de jeunes, ont à chaque fois donné lieu à plus d’un millier d’interpellations, un niveau record depuis le début de la présidence de Vladimir Poutine. Mais de tout cela, il n’a pas été question, jeudi 15 juin, dans l’émission « Ligne directe », le grand show annuel télévisé du président russe.
Trois jours après la dispersion brutale des manifestants dans la capitale, et tandis qu’Alexeï Navalny purge une peine de 30 jours de détention pour avoir appelé à un rassemblement non autorisé, le chef du Kremlin a choisi d’ignorer son principal opposant dont il n’a pas même prononcé le nom. Tout juste a-t-il répondu du bout des lèvres à une timide question sur « la quantité de mécontents » qui augmente. « C’est l’opposition ? Etes-vous prêt à parler avec l’un d’entre eux ? », lui a-t-on demandé. « Je suis prêt à parler avec tous ceux qui ont pour objectif d’améliorer la vie des gens, à résoudre les problèmes qui se posent et non avec ceux qui utilisent les difficultés existantes pour leur propre promotion », a répondu le président russe.
Hôpital jamais achevé
Entre « ceux qui spéculent et ceux qui proposent des solutions », a-t-il poursuivi en distinguant le bon grain de l’ivraie, seuls ces derniers « ont le droit d’avoir un dialogue avec le pouvoir ». Fermez le ban. Quelques minutes plus tard, à la sortie de l’émission, le chef de l’Etat a été plus direct en répondant à un journaliste de la BBC, qui lui demandait s’il considérait Alexeï Navalny comme son principal adversaire. « Quand j’ai entendu que vous étiez de la BBC, je n’ai pas eu le moindre doute sur le fait que vous poseriez cette question parce que c’est faire en quelque sorte la propagande des gens que vous défendez, a-t-il fustigé. Les actions de protestation sont toujours possibles dans le cadre des procédures démocratiques (…) mais elles doivent rester dans le cadre de la loi. Ceux qui violent la loi doivent répondre de ces violations. »
Rompu à l’exercice d’une émission bien huilée – la quinzième du genre depuis son arrivée au pouvoir en 2000 –, M. Poutine répondait, jeudi, aux questions d’un public trié sur le volet et de citoyens intervenant en direct depuis différentes régions. Mais il y a eu, aussi, des témoignages poignants de Russes au niveau de vie très dégradé après trois années de crise, comme cette jeune enseignante d’Irkoutsk payée une misère, ou cette autre jeune femme de Mourmansk, atteinte d’un cancer et pleurant devant un hôpital en construction jamais achevé.
Cette fois, surtout, l’attention des téléspectateurs a été attirée vers le côté droit de leur écran où s’affichaient des messages envoyés par SMS, sans doute moins filtrés qu’à l’ordinaire. Les mécontents s’y sont retrouvés : « Au revoir, Vladimir Vladimirovitch ! », « Poutine, tu crois vraiment que le peuple va croire à ce cirque de questions truquées ? », « C’est vrai que Navalny est en train de faire sur un film sur vous ? », « Trois mandats, ça suffit ! », pouvait-on lire.
Navalny candidat ? « Aucune chance »
Quatre heures d’affilée en direct, au cours desquelles l’Ukraine, la Syrie et les relations avec les Etats-Unis ont été abordés sur un ton mordant – notamment lorsque M. Poutine s’est dit prêt à offrir « l’asile politique » à James Comey, l’ex-chef du FBI au cœur de la polémique sur l’ingérence présumée de Moscou dans la présidentielle américaine – n’ont cependant pas suffi à faire sortir le chef du Kremlin de son mutisme sur sa candidature à sa propre succession lors de l’élection présidentielle de mars 2018.
« Ce sont les électeurs, le peuple russe, qui doivent choisir », a-t-il éludé, ajoutant : « Tout ira bien. » Sauf énorme surprise, le suspense est mince. Hormis Alexeï Navalny – qui « n’a aucune chance » de concourir en raison de sa condamnation pour détournement de fonds, comme a tenu à le rappeler mercredi Ella Pamfilova, la présidente de la commission électorale –, personne ne s’est encore avisé de se mettre sur les rangs. Et M. Poutine ne manquera certainement pas de rempiler pour un nouveau mandat l’année de la Coupe de monde du football, prévue en Russie deux mois après le scrutin.