Le président français reçoit, lundi, son homologue russe à Versailles. La relation bilatérale, dégradée, ainsi que l’Ukraine et la Syrie figurent au centre des discussions.
De quelle nature sera leur poignée de main ? Après celle, vigoureuse et très commentée entre Donald Trump et Emmanuel Macron, l’échange entre le nouveau président français et son homologue russe, Vladimir Poutine, attendu à Paris lundi 29 mai, ne sera pas moins scruté. Les deux chefs d’Etat, qui se rencontrent pour la première fois, doivent évoquer une longue liste de sujets internationaux et relancer une relation bilatérale grippée par une « méfiance mutuelle », selon la propre expression du chef du Kremlin.
La visite de travail de M. Poutine, invité à Versailles par M. Macron dans le cadre d’une exposition consacrée au tsar Pierre le Grand, survient en effet dans un contexte particulier. Ces deux dernières années, sous François Hollande, la relation France-Russie s’est détériorée, en particulier sur le dossier syrien, au point que la visite de M. Poutine, envisagée en octobre 2016, avait été annulée – même si le « dialogue » n’a jamais été vraiment rompu avec pas moins de onze rencontres et quarante-quatre échanges téléphoniques bilatéraux et multilatéraux. Et comme le fait remarquer Moscou, dans un document envoyé en amont de la rencontre de lundi, « aucune des quelque 500 entreprises françaises n’est partie de Russie », malgré les sanctions.
Mais la réception de Marine Le Pen au Kremlin en pleine campagne présidentielle française, les commentaires peu amènes de médias russes sur le candidat Macron, puis les accusations de piratage portées par son équipe contre des hackeurs russes ont aussi laissé des traces.
« Un nouveau départ »
Tout ceci devrait être laissé de côté. Un sondage publié le 25 mai par l’institut public VTsIOM révèle qu’une proportion importante de Russes, 56 %, a suivi la campagne présidentielle française et qu’un quart d’entre eux, 25 %, s’attend – ou espère – une amélioration des relations avec la victoire de M. Macron. Malgré l’avalanche de critiques, la personnalité du jeune président français séduit. Son succès, inattendu ici, intrigue.
La réception de M. Poutine, au Grand Trianon, comme Pierre le Grand, qui a posé en 1717 les bases des relations diplomatiques entre les deux pays, n’est pas pour déplaire à Moscou, qui y voit l’occasion d’un « reset » à la française, un redémarrage de la relation bilatérale, comme il y en avait eu une, du moins une tentative, avec les Etats-Unis, au début de l’administration Obama. « C’est un nouveau départ dans nos relations, a assuré l’ambassadeur russe à Paris, Alexandre Orlov, cité par l’agence RIA Novosti. Il me semble qu’entre Macron et Vladimir Vladimirovitch, il y a beaucoup de points communs et ils devraient bien se comprendre. »
« Cela nous donne une occasion de parler franchement et d’avoir une meilleure idée l’un de l’autre », a plus prosaïquement déclaré Iouri Ouchakov, le conseiller diplomatique de M. Poutine, lors d’un point presse vendredi.
Cette réunion avec le président français, a-t-il ajouté, permettra « de mieux sentir les nuances de la position de l’autre ». La rencontre devrait débuter par un « entretien restreint » entre les deux chefs d’Etat, suivi d’un déjeuner. La position très pro-européenne de M. Macron tempère cependant l’espoir de M. Poutine d’établir un « canal unique » de négociations.
M. Macron est le premier chef d’Etat occidental que va rencontrer le président russe après le sommet de l’OTAN, à Bruxelles, puis la réunion du G7 à Taormine, qui s’est achevé, samedi, en Sicile sur une note critique pour le Kremlin.
Face aux atermoiements américains, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a en effet appelé le club des pays occidentaux les plus riches à réaffirmer la politique de sanctions appliquées à la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et le conflit dans l’est de l’Ukraine.
« J’aurai un dialogue exigeant avec la Russie mais ça veut dire avant tout avoir un dialogue », a commenté, à l’issue de cette réunion, M. Macron. Un dialogue « sans concession », a-t-il insisté, tout en ajoutant que « beaucoup de problèmes internationaux ne peuvent être résolus sans la Russie ». Une phrase relevée avec gourmandise par les agences russes, qui ont préféré ignorer cette autre remarque du président français : « La Russie a envahi l’Ukraine. »
Le conflit ukrainien devait être en effet au cœur des discussions. Comme Kiev, mais pour d’autres raisons, Moscou souhaite que le successeur de M. Hollande s’engage à maintenir le « format Normandie », créé en 2014 par la France, l’Allemagne, la Russie et l’Ukraine en marge des cérémonies du 60e anniversaire du Débarquement en Normandie, qui a abouti à la signature des accords de Minsk censés mettre un terme au conflit. Sans doute la Russie préfère-t-elle avoir affaire à ce quatuor, plutôt qu’à un cadre élargi, pour un conflit aujourd’hui enlisé. M. Poutine vient chercher cette assurance.
« Rompre le cercle »
Soucieux de ne pas être oubliés si le dialogue russo-occidental reprend, les Ukrainiens ont pris les devants, comme ils l’avaient fait lors de la rencontre entre Donald Trump et le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Mercredi, juste avant le sommet de l’OTAN, le président Petro Porochenko s’est donc entretenu par téléphone avec M. Macron.
La Syrie constitue l’autre point fort de la rencontre, préparée par un échange en amont entre M. Lavrov et son homologue français Jean-Yves Le Drian, ex-ministre de la défense sous François Hollande. La conversation devrait être « franche », estime M. Ouchakov, selon lequel « la France fait partie de ces pays qui ont l’attitude la plus dure envers le régime Assad », le président syrien allié de Moscou.
M. Poutine devrait surtout appeler de nouveau à une coalition internationale pour lutter contre le terrorisme qui lui permettrait, tout en épargnant son partenaire de Damas, de sortir de son isolement vis-à-vis de l’Occident.
Le continent africain, et notamment la Libye, figure aussi au menu des discussions. Le contexte, après l’attentat sanglant de Manchester – perpétré par un kamikaze d’origine libyenne –, s’y prête. Konstantin Kossachev, président de la commission des affaires étrangères du Conseil de la fédération, le Sénat russe, a rappelé que la proposition de la Russie en matière de coopération et de formation d’une coalition antiterroriste est « opportune et à durée indéterminée ».
« Pierre le Grand, dans un effort pour rompre le cercle où il se trouvait emprisonné, fut donc amené à se tourner vers la France. Son but devait être de l’éloigner des voisins importuns qui obstruaient sa route », écrivait en 1908 le vicomte de Guichen à propos de la visite du tsar. Trois cents ans après celle-ci, la « visite de travail » de M. Poutine à Paris entre étrangement en résonance avec cette analyse.
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