Les alternatives aujourd’hui sont des techniques manuelles ou mécaniques. Mais un herbicide « naturel » est en développement en France.
Malgré le choix de l’Europe, la France a maintenu son opposition à l’utilisation du glyphosate. Après la décision de l’Union européenne de prolonger l’autorisation de ce produit pour cinq ans – contre laquelle la France a voté –, Emmanuel Macron a assuré, lundi 27 novembre, que la France interdirait l’utilisation du glyphosate « dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». La principale substance active de l’herbicide le plus utilisé au monde, le Roundup, est controversée pour son impact nocif sur l’environnement et la santé humaine.
« C’est assez curieux de parler de “quand on aura une alternative”, comme si le glyphosate existait depuis toujours ! », ironise Bertrand Omon, ingénieur agronome accompagnant le réseau d’exploitations Dephy, qui parviennent à réduire de plus de 50 % leurs intrants chimiques. Selon lui, les agriculteurs réfléchissent déjà à des solutions pour réduire l’utilisation des herbicides.
Aucun produit de substitution
Mais la tâche n’est pas aisée. Pour les agriculteurs et les industriels, la raison du succès du Roundup tient à son efficacité : il s’agit d’un « désherbant total »qui n’aurait aucun « substitut efficace ». « Le glyphosate permet d’éliminer toutes les plantes non désirées pour faire place nette aux vraies cultures sans avoir à travailler le sol », explique M. Omon.
En juin 2016, Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), expliquait au Monde qu’il existait bien un autre produit sur le marché, le glufosinate-ammonium, mais dont l’impact sur l’environnement était équivalent à celui du glyphosate. Pour l’heure, il n’existe pas de produit biologique qui ait une efficacité équivalente.
Cependant, une substance est en développement en France. Jacques Le Verger, fondateur de l’entreprise Osmobio, dans les Côtes-d’Armor, et diplômé en agronomie, travaille depuis 2008 à la conception d’un désherbant « naturel » à base de produits végétaux. Selon les tests réalisés par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), son produit serait totalement inoffensif pour l’homme et l’environnement.
Le désherbant a été testé avec succès par la Direction des routes de l’ouest, et M. Le Verger assure aujourd’hui que son efficacité est « équivalente à celle du glyphosate ». Le produit, adapté à l’utilisation des particuliers, nécessite encore, selon son concepteur, des évolutions pour correspondre aux besoins des exploitants agricoles.
Il n’est cependant pas disponible sur le marché, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) ne l’ayant pas homologué. « Le blocage est administratif, assure Jacques Le Verger, mais je continue à me battre avec pour ambition de remplacer le glyphosate. »
Combinaison de techniques
Les alternatives disponibles pour les agriculteurs sont pour le moment plutôt manuelles et mécaniques. Plusieurs sont déjà utilisées par les collectivités locales françaises, qui ne peuvent plus utiliser le glyphosate dans les espaces ouverts au public depuis janvier 2017. Selon une étude sur les méthodes alternatives au glyphosate commandée par le Parti vert européen, ces méthodes sont complémentaires les unes des autres. Bertrans Omon confirme :
« Attendre une nouvelle technique n’a aucun sens, cela ne se passera pas comme ça. Il n’y a pas une alternative, chaque agriculteur devra trouver une combinaison de moyens qui ne sera pas forcément la même sur toutes les exploitations. »
Il existe notamment des méthodes préventives, comme la rotation des cultures (qui permet de rompre régulièrement le développement des mauvaises herbes, qui sont différentes selon les plantes cultivées), le faux semis (la préparation des champs plusieurs semaines avant le semis pour permettre aux mauvaises herbes de germer, et les éliminer mécaniquement avant d’ensemencer réellement), ou encore le paillage (qui consiste à recouvrir les sols de matériaux d’origine végétale et minérale, ou bien de certains matériaux synthétiques, pour stopper la croissance des adventices).
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Des moyens mécaniques permettent également d’endiguer la pousse des mauvaises herbes en arrachant ou en détruisant les racines des plantes non désirées. Il existe différents types de machines en fonction des cultures et de leurs spécificités, certaines coupant les racines à plusieurs centimètres de profondeurs, d’autres utilisant des herses, qui agissent sur le sol en surface. Les exploitants peuvent aussi pratiquer le désherbage thermal, en passant des flammes, de l’eau chaude ou de la vapeur d’eau sur les plantes adventices pour les faire mourir.
« Les très grosses exploitations ont le plus à perdre »
Ces méthodes présentent toutefois des inconvénients certains ; elles affectent notamment la structure des sols et peuvent accroître leur érosion. Elles nécessitent également des dépenses d’énergie conséquentes, et ne sont pas toutes adaptées aux grandes exploitations.
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« Travailler le sol peut l’abîmer, c’est vrai, mais on n’est pas obligé de labourer, il existe d’autres techniques », tempère Bertrand Omon, qui admet toutefois qu’abandonner le glyphosate serait synonyme d’une recrudescence de travail, et de difficultés supplémentaires pour certains types de sols.
Mais pour lui, l’enjeu posé par l’abandon de cette substance, au-delà de la santé humaine et environnementale, est celle du modèle de production agricole. « Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les très grosses exploitations », estime l’agronome. « Elles ont construit des systèmes très cohérents conçus dans une extrême dépendance au glyphosate », dont l’utilisation est bien plus rapide et économique que la combinaison d’autres méthodes, qui nécessitent plus de main-d’œuvre et de temps.
« Le glyphosate a permis d’utiliser certains sols qui n’étaient pas forcément cultivables, est-ce une bonne chose ? Son utilisation s’est développée mondialement avec les grandes fermes, est-ce le type d’exploitations agricoles que l’on souhaite ? », s’interroge l’ingénieur. Des questions qui, à défaut de trouver des réponses, devraient resurgir avec l’annonce d’Emmanuel Macron.