Tunisie : La Banque mondiale a décidé lundi de suspendre son cadre de partenariat avec la Tunisie après une montée des exactions contre les migrants africains dans le pays à la suite d’un discours incendiaire du président Kais Saied sur l’immigration illégale.
Cette suspension « jusqu’à nouvel ordre » du programme de partenariat signifie de facto un gel de tout nouveau financement à la Tunisie, déjà engluée dans une grave crise financière.
– Quel est l’impact immédiat de cette mesure pour la Tunisie?
La direction de la BM a décidé de « mettre en pause » cet accord de partenariat « et de retirer du calendrier la revue du conseil d’administration » (CA) de la Banque mondiale, prévue initialement le 21 mars et « reportée jusqu’à nouvel ordre ».
Cette décision concerne le cadre de partenariat pays (CPF en anglais), qui sert de base de suivi par le CA de la Banque mondiale afin d’évaluer et accompagner le pays dans ses programmes d’aide.
L’institution ne peut pas lancer de nouveaux programmes de soutien avec le pays tant que le CA ne s’est pas réuni, même si « les projets financés restent financés et les projets en cours sont maintenus », comme l’a précisé une source proche de la Banque mondiale.
Un responsable de la BM, parlant sous couvert d’anonymat, a affirmé à l’AFP que cette mesure signifiait que l’octroi de tout nouveau financement à la Tunisie était peu probable « avant que la situation ne se clarifie » et qu’un nouveau CPF soit conclu.
Même temporaire, un tel gel « risque d’avoir un très mauvais impact sur la situation financière de la Tunisie », estime l’économiste tunisien Ezzeddine Saidane.
La Tunisie, endettée à 80% de son PIB à cause notamment du poids de sa fonction publique, doit recourir à l’emprunt pour combler son déficit budgétaire. Elle négocie en outre un prêt de près de 2 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international (FMI), qui conditionne d’autres aides internationales dont l’Union européenne, mais les pourparlers patinent.
« Le budget de l’année 2023 table sur des prêts de 25 milliards de dinars (7,5 milliards d’euros) dont l’équivalent de 5 milliards de dinars (1,5 mds d’euros) provenant de l’étranger. Sans la Banque mondiale, réaliser une telle opération serait très compliquée », juge M. Saidane.
– Quelles répercussions sur les négociations avec le FMI?
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie Marouane Abassi a averti en janvier que l’année 2023 serait « compliquée », dans un contexte de faible croissance (moins de 3%), forte inflation (plus de 10%) et chômage élevé (plus de 15%), sans un accord rapide avec le FMI pour un prêt.
Mais les négociations entre les deux parties semblent faire du surplace depuis un accord de principe annoncé mi-octobre.
Un éventuel accord avec le FMI dépend aussi de certains financements à débloquer par la BM, dont la décision de suspendre le programme de partenariat avec la Tunisie pourrait à cet égard constituer un nouveau contretemps dans les négociations.
« Le FMI pourrait hésiter à finaliser un accord qui était déjà controversé maintenant que l’autre grand bailleur, basé (aussi, ndlr) à Washington, se met en retrait », estime le responsable de la BM parlant sous couvert d’anonymat.
– Et maintenant?
Le gouvernement tunisien n’a toujours pas réagi à la décision de la BM.
Pour M. Saidane, les autorités tunisiennes devraient « trouver un moyen de tourner la page sur cette affaire et de regagner la confiance des institutions financières internationales ».
« La suite dépendra de la réaction du gouvernement », ajoute-il.
En attendant, les discussions entre la Tunisie et la BM pour de nouveaux financements — notamment un prêt de 20 millions d’euros pour un projet de câble alimentant l’Europe en énergie solaire — sont reportées jusqu’à nouvel ordre.
« Plus la situation perdure, plus la Tunisie perdra des fonds », avertit le responsable de la BM.