Créée il y a 55 ans par le président Kennedy, l’USAid est la grande agence américaine chargée de l’aide et du développement. Celle-ci est à un tournant de son existence avec la proposition de l’administration Trump de la supprimer en la fusionnant avec le Département d’Etat. Pour sauver l’agence tout en la réformant en profondeur, les ONG financées par l’USAid misent sur Mark Green, le nouveau patron de l’agence. Ce dernier est lui-même issu du milieu de l’aide internationale.
Les heurs et malheurs de l’aide au développement sont de nouveau au cœur de l’actualité aux Etats-Unis, avec l’audition de confirmation ce jeudi 15 juin par le Sénat américain de Mark Green, candidat de l’administration Trump pour prendre la tête de l’USAid. A partir des années 1960, l’aide américaine pour le développement international passe pour l’essentiel par le biais de l’USAid, qui est l’équivalent américain de l’Agence française du développement (AFD). Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2017, cette organisation gouvernementale fonctionne sans administrateur titulaire.
L’annonce début mai de la nomination de l’ancien ambassadeur américain en Tanzanie Mark Green a été une des rares bonnes nouvelles en provenance de Washington depuis l’installation de Donald Trump à la Maison Blanche. Saluée à la fois par les républicains et les démocrates, cette nomination a été également applaudie des deux mains par tous les professionnels de l’aide au développement. Le candidat nominé est connu dans le milieu, « apprécié et respecté pour ses prises de position en faveur d’engagement toujours plus poussé des Etats-Unis pour promouvoir le développement international », si l’on en croit Ian Kosky, porte-parole de l’antenne nord-américaine de l’ONG ONE.
« L’ambassadeur Green joue depuis plusieurs années un rôle de tout premier plan, poursuit Kosky, dans la mise au point de la stratégie américaine de l’aide au développement et, à ONE, nous sommes persuadés qu’il fera un excellent administrateur de l’USAid. » Abondant dans le même sens, l’agence Oxfam a elle aussi félicité l’administration Trump d’avoir eu la main heureuse en désignant à ce poste stratégique un grand professionnel de développement et un militant de l’aide aux pays fragilisés par le déficit de développement. « Nous sommes prêts à travailler avec l’ambassadeur Green, a déclaré pour sa part Raymond C. Offenheiser, président de l’Oxfam America, afin que l’USAid demeure la première agence pour le développement. Celle-ci sauve des vies, fait avancer nos intérêts nationaux et bâtit des partenariats de travail, contribuant à rendre le monde un lieu plus sûr pour tous. »
Un consensus bipartisan
Cette nomination consensuelle est une première pour le gouvernement Trump, qui a habitué les Américains depuis six mois à des décisions qui divisent et génèrent des conflits. En nommant à la tête de cette institution majeure qu’est l’USAid une personnalité appréciée de part et d’autre de la ligne politique, il renoue avec la grande tradition du consensus bipartisan qui caractérise aux Etats-Unis, l’aide au développement et plus généralement les affaires liées la diplomatie.
Issu du parti républicain, Mark Green a effectué entre 1999 et 2007 quatre mandats successifs à la Chambre des représentants en tant que député du Wisconsin, avant de rejoindre le corps diplomatique sous la présidence de George W. Bush qui l’a nommé ambassadeur en Tanzanie. En 2010, Barack Obama l’a fait entrer au bureau exécutif de la « Millenium Challenge Corporation », un autre organisme gouvernemental qui œuvre pour le développement de part le monde, dont la caractéristique est de mettre l’accent sur le respect de l’Etat de droit et la liberté d’entreprendre dans les pays (26 à cette date) avec lesquels il coopère.
La démocratie et le libéralisme économique sont des problématiques chères au cœur du futur administrateur de l’USAid, qui en a fait ses chevaux de bataille en tant que président de l’International Republican Institute, un think-tank que Mike Green dirige depuis plusieurs années. « Si nous avons du mal à atteindre nos objectifs en matière de lutte contre la pauvreté, la faim ou encore les grandes pandémies qui frappent les pays où nous travaillons, c’est parce qu’il n’y a pas dans ces pays des gouvernements responsables, réactifs et dédiés à l’amélioration du sort de leurs peuples », aime-t-il répéter. « C’est la principale raison qui m’a poussé à rejoindre ce mouvement pour la démocratie et la bonne gouvernance », expliquait-il y a deux ans dans une interview dans le magazine américain, le Washington Diplomat.
L’engagement du candidat en faveur des questions d’aide et de développement ne date pas d’hier non plus. C’est à la fin des années 1980 que Green et son épouse Sue, leur diplôme du premier cycle des études universitaires en poche, sont partis enseigner l’anglais dans des écoles au Kenya, dans le cadre du programme du volontariat international WorldTeach. Plus récemment, en tant qu’ambassadeur en Tanzanie, il a vu de près l’efficacité des politiques d’aides et leurs répercussions positives sur la vie des récipiendaires d’aides. « Le mélange d’idéalisme et de sens pratique dans le secteur de développement fait de Mike Green l’un des dirigeants les plus qualifiés dans l’histoire de l’USAid », analyse Ian Koski de l’organisation ONE.
Les défis de Mark Green
Si, ce jeudi, le Sénat américain confirme la candidature de Mark Green, celui-ci succèdera à Gayle Smith, l’administrateur démissionnaire de l’agence américaine pour le développement nommé par Barack Obama. « Cette confirmation ne devrait pas poser de difficulté particulière, compte tenu du soutien bipartisan dont jouit le candidat », déclare Ian Kosky de ONE. Mais la question que tout le monde se pose à Washington, est de savoir si Green aura les mains libres pour conduire sa propre politique en matière d’aide au développement.
« La nomination de Green en mai est intervenue, rappelle Kosky, dans une atmosphère d’inquiétudes graves concernant l’avenir de l’aide au développement, suite à des rumeurs persistantes annonçant des coupes sombres dans le budget à l’international, aide et diplomatie réunies ». Qualifiées de « désastreuses » par les observateurs, ces propositions de coupes s’élèvent à quelque 31% du budget des actions extérieures de l’Etat américain hors dépenses militaires, ce qui fait passer l’enveloppe globale de 54,9 milliards de dollars pour l’exercice 2017 s’achevant le 30 septembre à 31,5 milliards pour l’exercice 2018. Cette baisse vertigineuse affecterait en premier lieu les budgets d’aide – alimentaire, d’urgence et de coopération. Fidèle à sa doctrine d’« America first », l’administration Trump voudrait réallouer les économies ainsi générées au « hard power », soit « au bien-être des Américains, le renforcement de la sécurité nationale des Etats-Unis, la sécurisation des frontières et l’avancée des intérêts économiques américains », comme l’a expliqué le secrétaire d’Etat Rex Tillerson dans un récent communiqué.
Plus déstabilisante encore pour les esprits, est la proposition lancée par la Maison Blanche de fusionner l’USAid avec le Département d’Etat chargé de la diplomatie. Rappelons que c’est en 1961, dans le but d’unifier les différentes agences étatiques d’aides à l’extérieur et les divers programmes de coopération issus du célèbre plan Marshall, que l’agence unique USAid a été créée à l’initiative du président John Kennedy. Financée à hauteur de 1% du budget fédéral, elle devait incarner l’idée de la « soft power » américaine destinés à « gagner les cœurs et les esprits » des pays étrangers. Selon nombre d’observateurs, sa fusion proposée aujourd’hui pourrait compromettre l’indépendance de l’action d’aide et de développement à l’extérieur en la subordonnant aux priorités diplomatiques nationales.
« Vouloir lier à la logique de nos alliances ou nos mésalliances diplomatiques, les combats que nous devons mener contre la pauvreté ainsi que les investissements d’urgence que nous faisons pour soulager des populations souffrant de la famine ou des pandémies telles que le sida ou l’Ebola, peut s’avérer très handicapant », explique Ian Kosky. Il met en garde contre la tentation de supprimer l’USAid qui est devenue « au cours des années une agence de développement efficace, qui maîtrise parfaitement ses dépenses, s’assurant que chaque dollar investi rapporte en terme de résultats ».
Les professionnels de l’aide et du développement font confiance à Mark Green pour sauver l’USAid et peut-être même les autres initiatives de coopération internationale telles que le « Millenium Challenge Corporation » ou le Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le sida (PEPFAR) qui avaient été lancées alors que Green siégeait à la Chambre des représentants. « Difficile de penser que cet homme pourra démanteler l’USAid », déclare Kosky. Pour ce dernier, comme pour beaucoup de ses homologues, loin d’être accidentelle, l’arrivée de cet ambassadeur en Afrique sur le devant de la scène est « le signal que les pragmatistes sont en train de s’organiser à l’intérieur même de l’administration contre les idéologues qui tiennent le pouvoir à Washington ».