Cinq jours après son échec électoral, la première ministre britannique rencontre aujourd’hui Arlene Foster, leader du parti nord-irlandais DUP, pour tenter de s’assurer une majorité parlementaire.
Très peu connue en Grande-Bretagne, Arlene Foster arrive aujourd’hui à Downing Street en faiseuse de reine. La dirigeante du Parti démocratique unioniste (DUP), le premier parti d’Irlande du Nord, devait rencontrer Theresa May en début d’après-midi mardi 13 juin. Arlene Foster sait qu’elle détient les clés du maintien au pouvoir de la première ministre britannique. Après les élections législatives du 8 juin, les conservateurs n’ont que 318 députés à la Chambre des communes, alors que la majorité absolue est de 326 sièges. Le DUP, qui a 10 sièges, peut apporter les voix manquantes à Mme May et lui permettre de sauver, au moins temporairement, son poste.
Qu’est-ce que le DUP ?
La politique d’Irlande du Nord n’a rien à voir avec celle du reste du Royaume-Uni. Conservateurs et travaillistes y sont absents. A la place, les lignes de fracture sont identitaires. D’un côté se trouvent les unionistes, protestants, qui veulent rester dans le Royaume-Uni. Deux grands partis les représentent, dont le plus important est le DUP. De l’autre se trouvent les républicains, catholiques, qui veulent rejoindre la République d’Irlande. Là encore, deux grands partis les représentent, le plus important étant le Sinn Fein.
Depuis 2007, le DUP est devenu le grand parti de gouvernement d’Irlande du Nord. Son fondateur, Ian Paisley, a été le premier ministre de la province de 2007 à 2008, avant d’être remplacé par Peter Robinson jusqu’en 2016, et ensuite par Mme Foster. Ils partageaient le pouvoir avec le vice-premier ministre Martin McGuinness, du Sinn Fein. Mais depuis janvier, Sinn Fein et DUP ne s’entendent plus et les récentes élections en Irlande du Nord n’ont pas aidé à surmonter leur brouille.
Les origines du DUP sont très inhabituelles. Le parti a été fondé en 1971 par Ian Paisley, qui avait créé quelques années plus tôt l’Eglise presbytérienne libre d’Ulster. Farouchement anti-catholique, chantre des unionistes les plus radicaux, l’homme a longtemps été un opposant acharné au dialogue avec le Sinn Fein, avant sa volte-face spectaculaire en 2006. S’il se normalise progressivement, le DUP reste ultra-conservateur, anti-avortement, opposé au mariage homosexuel. Certains de ses membres se battent pour enseigner à l’école le « créationnisme », l’idée que l’univers a été créé par Dieu.
Se dirige-t-on vers une coalition ?
Non. Il n’est a priori pas question de voir des membres du DUP entrer au gouvernement britannique. Les discussions portent sur un simple accord de soutien à la Chambre des communes. Le DUP s’engagerait à voter en faveur des politiques de Mme May, en échange d’un certain nombre de gestes de cette dernière. Lesquels ? C’est ce que tentent de définir les deux camps dans le cadre des négociations engagées le lendemain du scrutin.
A priori, les questions de société – avortement, mariage homosexuel… – ne feront pas partie des sujets soulevés. Le DUP ne cherche pas à imposer ses vues sur ces sujets au reste du Royaume-Uni, et tient simplement à conserver les lois en l’état en Irlande du Nord, où l’avortement reste interdit (sauf en cas de danger de mort pour la mère) et le mariage entre personnes du même sexe illégal.
Selon Jon Tonge, de l’université de Liverpool, le DUP a un objectif unique : « Obtenir plus d’argent pour l’Irlande du Nord. » Le 9 juin, en entamant les discussions avec Mme May, Mme Foster ne disait pas autre chose, affirmant viser « le meilleur deal possible pour l’Irlande du Nord et ses habitants ». Selon l’agence Bloomberg, le DUP chercherait à obtenir 1 milliard de livres (1,1 milliard d’euros).
Faut-il s’inquiéter pour la paix en Irlande du Nord ?
De nombreuses voix, même au sein de la formation de la première ministre, s’inquiètent de l’éventuel rapprochement entre les conservateurs et le DUP. Selon elles, Londres risque ainsi de perdre son rôle « neutre » en Irlande du Nord, ce qui pourrait mettre à mal le fragile équilibre politique, voire le processus de paix.
Après un conflit qui a fait 3 500 morts, les armes se sont tues en Irlande du Nord avec les accords dits du Vendredi saint signés en 1998. Pour y parvenir, les gouvernements britannique et irlandais ont joué un rôle essentiel de médiateur, faisant pression chacun sur leur camp.
« Mais comment est-ce qu’ils peuvent être médiateurs si les unionistes entrent au gouvernement britannique ? », interroge Alastair Campbell, qui était conseiller de Tony Blair au moment des accords du Vendredi saint. « A l’époque, l’accord a été signé parce que le gouvernement britannique avait accepté d’être neutre, ajoute Jonathan Powell, le principal négociateur britannique de l’époque, dans une tribune publiée par le Financial Times. Mme May ne peut plus prétendre être neutre. » Cet ancien proche de Tony Blair conclut, brutal : « Est-ce vraiment dans l’intérêt national de mettre à mal le processus de paix en Irlande du Nord pour que Mme May puisse se traîner à Downing Street pendant quelques semaines ou quelques mois de plus ? Il serait plus digne d’accepter la défaite que de rester dans ces conditions. »
Enda Kenny, le premier ministre irlandais démissionnaire, a également téléphoné à Mme May dimanche pour exprimer ses craintes. Son message : il ne faut pas mettre en danger le fragile équilibre en Irlande du Nord.
Le Brexit complique les choses
La possible remise en cause de l’équilibre politique de ces dernières années en Irlande du Nord est d’autant plus inquiétante qu’elle a lieu en plein Brexit, dont les conséquences sur l’île risquent d’être importantes.
Si le Royaume-Uni choisit de sortir du marché unique européen – l’option privilégiée jusqu’à présent par Mme May –, le rétablissement d’une frontière entre l’Ulster et la République d’Irlande pourrait être nécessaire, afin de contrôler l’immigration et le commerce. Les républicains n’apprécieraient alors pas du tout de voir leur île à nouveau morcelée, alors que les signes visibles d’une frontière ont aujourd’hui complètement disparu.
De son côté, le DUP a soutenu le Brexit, mais il entretient l’ambiguïté, se disant opposé à l’établissement d’une frontière « dure ». Autant de facteurs qui rendent le rapprochement de Theresa May avec le DUP particulièrement périlleux.
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