Le 4 mai, les Algériens élisent leurs députés. Mais les élections ne mobilisent pas les habitants de la capitale.
Le ciel est gris, le vent souffle, des dizaines de personnes descendent des trains venus de la périphérie de la capitale, franchissent la grille de la gare de l’Agha et remontent la petite rue qui mène vers le centre de la ville, sans un regard pour les panneaux électoraux. Sacoche à l’épaule, un homme s’arrête face aux affiches des candidats de deux listes pour les élections législatives du 4 mai. « Je regarde leur niveau universitaire », explique-t-il. Sous les photos en médaillon, les noms et les professions des candidats sont inscrits en petites lettres. « Regardez, toutes ces femmes, il y a des années, elles n’auraient jamais osé être candidates. Et puis elles ont fait des études. Celle-là est médecin, l’autre directrice d’une école, ou chef d’entreprise. C’est bien pour notre pays », sourit-il. Ce retraité de 70 ans n’ira pourtant pas voter. « Ça ne sert à rien, la politique, dans ce pays », dit-il en s’éloignant.
A quelques mètres de là, Mohamed, qui demande lui aussi à rester anonyme, nettoie le pare-brise de son taxi avec une éponge et une bouteille d’eau minérale, en attendant un client. « Le Parlement ne sert à rien. Les lois ne sont pas débattues. Ce ne sont pas les députés qui votent. On voit bien que certains se servent de ces fonctions pour s’enrichir. On n’est pas dupes », explique-t-il en affirmant que, lui non plus, il n’ira pas voter.
Dans le quartier du 1er-Mai, face à l’hôpital Mustapha-Bacha, de grandes banderoles ont été installées avec le slogan « Samaa sawtek » (« Fais entendre ta voix »). Réalisée par une agence tunisienne, la campagne de communication pour les législatives du 4 mai met en scène des personnalités algériennes, dans leur diversité, carte d’électeur à la main. Des clips avec un rappeur connu, une ancienne championne de judo et un animateur radio vedette ont été diffusés dans le métro et dans les médias. Des affiches ont été collées sur les mairies, les portes des écoles. Si la campagne a été remarquée, le message ne semble pas passer.
« On vit comment ? »
Un homme se dirige vers les arcades blanches qui bordent la route. Il s’appelle Mohand et hausse le ton rapidement : « L’élection ? Ce n’est pas ça qui intéresse les gens. Vous avez fait un tour au marché ? Le prix du kilo de pommes de terre est à 100 dinars [environ 1 euro] ! La nourriture du pauvre ! Je suis ingénieur, retraité, je touche 40 000 dinars par mois. On vit comment ? » La chute des prix du pétrole, la baisse de la valeur du dinar, la volonté politique de réguler et de restreindre les importations ont fait augmenter la plupart des prix des produits de consommation. Dans le quartier, un jeune garçon a fait tomber les panneaux électoraux placés devant son immeuble, un à un, en les visant avec un ballon de football. « Les élections, ce n’est pas pour nous, raconte un voisin en secouant la tête. Ça fait cinquante ans qu’on attend du changement. »
Les autorités semblent avoir compris l’ampleur du désintérêt pour la campagne. Le 28 mars, le ministre de la communication, Hamid Grine, a adressé une circulaire aux médias, leur interdisant de donner la parole à ceux qui prônent le boycottage de l’élection. Le ministre de l’intérieur a également annoncé cette semaine qu’un homme avait été présenté à la justice pour « atteinte à l’image des élections législatives ».
En campagne, les responsables politiques multiplient les métaphores patriotiques pour convaincre de voter. L’objectif est de faire mieux qu’en 2012, où le taux de participation officiel était de 43 %. « L’élection est un moment important, non pas pour les candidats ou les électeurs, mais pour le système politique : il peut ainsi se réinventer une légitimité, s’inscrire dans la normalité d’un Etat qui fonctionne selon des règles démocratiques le temps d’une campagne électorale », écrit le journaliste Adlène Meddi.
Dans la très centrale rue Didouche-Mourad, de la Grande Poste jusqu’au Sacré-Cœur, plusieurs partis ont ouvert des locaux de campagne. Dans celui de Sid Ahmed Ferroukhi, ancien ministre de l’agriculture et de la pêche, et tête de liste du Front de libération nationale (FLN), le parti historique de l’indépendance, il n’y a personne, hormis les employés chargés de surveiller le local. « C’est le matin », tente d’expliquer l’un d’entre eux. Devant la pharmacie, un groupe d’hommes âgés discute, assis sur le rebord d’une marche d’escalier. L’un d’entre eux, qui se prénomme Rachid, s’emporte : « Je vis dans ce quartier depuis cinquante ans, et tous ces visages qu’on voit sur les affiches, je ne les ai jamais vus dans cette rue. Je n’en connais pas un seul ! »
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