Le correspondant de RFI en langue haoussa à Maroua, dans le nord du pays, a été notamment déclaré coupable de « blanchiment du produit d’acte terroriste ».
La sentence est tombée, froide comme un couperet. Ahmed Abba a échappé à la peine de mort, requise dans un premier temps par le parquet, mais la justice camerounaise n’a montré aucune clémence à l’égard du correspondant en langue haoussa de Radio France internationale (RFI) dans la région de l’Extrême-Nord, au Cameroun. Il a été condamné, lundi 24 avril, à une peine de dix ans de prison, assortie d’une amende d’environ 85 000 euros. Le tribunal militaire de Yaoundé l’avait reconnu, quatre jours plus tôt, coupable de « non-dénonciation d’actes de terrorisme » et de « blanchiment d’actes de terrorisme » au profit des djihadistes de Boko Haram, en guerre ouverte avec l’Etat camerounais.
Lire aussi : Au Cameroun, le journaliste Ahmed Abba risque la peine de mort
Depuis son arrestation à Maroua, fin juillet 2015, Ahmed Abba, n’a cessé, quand cela lui était possible, de clamer son innocence. Deux semaines après son interpellation, il a été transféré dans la capitale, tenu au secret pendant trois mois dans les locaux de la direction générale de la recherche extérieure, où, d’après sa déposition à la barre, les services de renseignement l’ont torturé. Son calvaire s’est poursuivi en prison, où il a été enchaîné pendant plusieurs jours. Et son procès fut une parfaite illustration du caractère kafkaïen de la justice camerounaise.
Lire aussi : Au Cameroun en guerre contre Boko Haram, des rescapées racontent : « J’ai trouvé les enfants en morceaux »
Lorsque celui-ci s’est ouvert, le 29 février 2016, l’accusation a annoncé qu’elle présenterait cinq témoins pour faire « la preuve de la culpabilité » du journaliste. Leurs dépositions se font toujours attendre. Restait alors à attendre le rapport d’un « expert en cybercriminalité » commandé par le commissaire du gouvernement. Son travail a été rejeté par le tribunal qui a, finalement, nommé un collège d’experts dont les conclusions n’ont pas permis de confondre Ahmed Abba pour « complicité » avec Boko Haram, comme l’entendait l’accusation.
« Otage symbolique »
Dès lors, cette condamnation ne s’est basée que sur un téléphone, qui aurait appartenu « à un terroriste », puis à « une victime du terrorisme », selon les accusations changeantes du parquet, et dont la sauvegarde numérique aurait été retrouvée dans l’un des ordinateurs du cybercafé que tient le journaliste à Maroua.
« Il y a une rationalité limpide. C’est d’empêcher tout regard extérieur sur ce qui se passe réellement dans le nord du Cameroun. Il s’y produit une politique de répression dont le coût humain est catastrophique », estime un bon connaisseur du pays.
La guerre engagée contre les djihadistes qui continuent de mener des raids meurtriers a permis au Cameroun de bénéficier du soutien de la France et des Etats-Unis, mais la lutte contre Boko Haram s’accompagne « d’arrestations arbitraires, de détentions au secret, d’actes de torture et de disparitions forcées », selon Amnesty International. L’ONG de défense des droits de l’homme dénonce un « procès injuste » et un « travestissement de la justice ».
Lire aussi : Nigeria : les ONG s’inquiètent du sort des déplacés
Pour le philosophe camerounais Achille Mbembe, Ahmed Abba est l’un des nombreux « otages symboliques » du pouvoir crépusculaire de Paul Biya, qui a fait passer en 2014 une loi antiterroriste. « On les tient comme une monnaie d’échange que l’on mobilise le moment venu », dit-il. Les avocats de la défense et RFI ont annoncé leur intention de faire appel. « Nous sommes consternés, car Ahmed va encore rester en prison, témoigne, depuis Yaoundé, Yves Rocle, le chef du service Afrique de la station de radio. Cependant, comme il n’existe aucun élément de preuve, on ne peut pas douter qu’au bout du compte il sera innocenté. »
lemonde.fr