Le procès des biens mal acquis s’ouvre ce lundi 19 juin devant le tribunal correctionnel de Paris. Teodorin Obiang, le fils du président de Guinée équatoriale, est accusé de s’être bâti en France un patrimoine considérable en détournant des fonds publics, selon les juges d’instruction français. Il avait acquis plusieurs voitures de sport, un hôtel particulier avenue Foch à Paris, richement meublé. Dans les couloirs du Palais de justice, chacun fourbit ses armes et la défense du vice-président équato-guinéen dénonce déjà un procès politique.
Après un faux départ en janvier avec un report de six mois à la demande des avocats de la défense et en l’absence du prévenu, neuf audiences sont prévues jusqu’au 9 juillet au tribunal correctionnel de Paris, dans le tout premier procès de l’affaire des biens mal acquis, une procédure entamée il y a dix ans.
C’est avec le rapport « Biens mal acquis… profitent trop souvent » publié en 2007 que tout commence. Si la première plainte déposée l’année suivante n’aboutit pas, les ONG repartent à l’offensive en 2010 lorsque la Cour de cassation reconnaît leur droit à se porter partie civile.
L’enquête sur les biens du fils Obiang s’ouvre, ponctuée de perquisitions spectaculaires. Il faut ainsi plusieurs jours aux policiers parisiens pour inspecter les 4 000 mètres carrés de son hôtel particulier. Ils remplissant les camions de bijoux, d’œuvres d’arts et de grands crus sans oublier quelque 18 voitures de luxe.
En 2012, un mandat d’arrêt international est émis contre Teodorin Obiang qui refuse, malgré sa mise en examen, de répondre aux questions des juges. Ses avocats tentent par tous les moyens de faire annuler le procès allant de report en report jusqu’à saisir la Cour internationale de justice, mais l’étau se resserre inexorablement.
Un procès « historique »
Aujourd’hui, les parties civiles, dont les associations anticorruption Sherpa et Transparency, espèrent voir s’ouvrir pour de bon un procès qu’elles qualifient déjà d’historique. « Ce procès inédit, sans précédent, devrait, j’espère, ouvrir une odyssée judiciaire qui devrait conduire à exiger de ceux qui manipulent l’intérêt général pour s’enrichir de rendre des comptes en dépit de toutes leurs manœuvres pour essayer de pérenniser cyniquement leur impunité », insiste l’avocat William Bourdon.
« La peur doit changer de camp, insiste-t-il. On n’est plus aujourd’hui dans une logique de résignation et de fatalisme. On est dans une logique de colère citoyenne qui court à travers le monde pour exiger que les responsables publiques soient redevables quand ils détournent leur mission afin de s’enrichir et d’enrichir leur clan. »
Selon William Bourdon, ce procès « est l’amorce d’une dynamique afin de judiciariser ceux qui crachent sur l’humanité, sur leur peuple et qui vont continuer à le faire par l’intermédiaire de leur avocat lundi en multipliant des conclusions complètement ésotériques et bouffonnes pour essayer d’empêcher que ce procès se tienne. »
La Cour internationale de justice saisie
Du côté de la défense, on partage l’idée que ce procès est une « première mondiale », mais dans le mauvais sens. L’avocat de Teodorin Obiang, Emmanuel Marsigny, y voit « la tentative des parties civiles de donner une compétence juridictionnelle universelle à la France pour juger d’infractions commises en Guinée équatoriale. »
« Si la solution qui est préconisée était retenue, poursuit-il, cela créerait un précédent mondial unique. Et incontestablement un grand désordre dans les relations internationales. Une compétence juridictionnelle universelle à la France serait totalement contraire à toutes les règles des relations entre les Etats et les conventions internationales. »
C’est pour lui le « véritable enjeu de ce procès » et la raison pour laquelle la Cour internationale de justice à La Haye a été saisie. Malabo rejette le droit à la France de juger l’un de ses gouvernants. La procédure est en cours. Une manœuvre dilatoire de plus rétorque les parties civiles, comme l’association Sherpa, à l’origine des poursuites.
Pour ce détournement d’argent présumé, le vice-président de la Guinée équatoriale encourt en France jusqu’à dix ans de prison.
Attentes de l’opposition et des ONG
Du côté de l’opposition équato-guinéenne en tout cas, Gabriel Nse Obiang Obono, leader du parti Ciudadanos por la inovacion, estime qu’il est « très important d’enquêter sur ces affaires et de rendre la justice ».
« Il faut également que l’Etat français et sa justice restent séparés, comme dans tout état démocratique, insiste l’opposant. L’indépendance judiciaire doit être garantie. Donc je demande que justice soit faite et qu’on la voie. Que la vérité des faits soit révélée. On ne doit jamais pouvoir aller à l’encontre de la justice. On ne doit pas s’opposer à son impartialité. »
« Ici en Guinée, on ne peut juger personne du gouvernement, explique l’ancien candidat à la présidentielle. Alors voir qu’en France, plusieurs organisations non gouvernementales se sont battues pour que ces faits se retrouvent au tribunal, c’est comme si elles défendaient les démunis de notre pays. »