Le procureur précise avoir pris cette décision visant le ministre « après analyse des éléments complémentaires (…) révélés par différents organes de presse ».
Le communiqué de presse du parquet de Brest est tombé peu après 8 heures, jeudi 1er juin. « Après analyse des éléments complémentaires susceptibles de mettre en cause M. Richard Ferrand (…) révélés par différents organes de presse (…), j’ai décidé de saisir ce jour la direction interrégionale de la police judiciaire de Rennes d’une enquête préliminaire », écrit Eric Mathais, le procureur de la République.
L’ouverture d’une enquête préliminaire ne présage en rien de la qualification pénale des faits explorés ni de la culpabilité de la personne visée. Il n’empêche, la mise en marche de la machine judiciaire huit jours après les premières révélations du Canard enchaîné du 24 mai sur les opérations mettant en cause le ministre de la cohésion des territoires tombe vraiment mal pour le gouvernement.
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C’est en effet ce même jeudi 1er juin que François Bayrou, ministre de la justice, devait lancer publiquement le premier projet emblématique du quinquennat d’Emmanuel Macron, avec une conférence de presse sur le projet de loi « de moralisation de la vie publique ». Ce qui aurait pu être un contre-feu médiatique face à la montée de la pression sur Richard Ferrand risque de passer au second plan.
Le procureur de Brest avait initialement estimé, vendredi 26 mai, qu’il n’y avait pas matière à enquête judiciaire, « aucun des faits relatés » n’étant « susceptible de relever d’une ou plusieurs qualifications pénales ». Il a donc révisé son analyse, à la suite des nouvelles révélations du Parisien, lundi 29 mai, et du Monde, mardi 30 mai.
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La ligne fixée par le premier ministre n’est pas franchie
M. Mathais explique, dans son communiqué, que « cette enquête aura pour but de recueillir tout élément permettant une analyse complète des faits et de rechercher si ceux-ci sont susceptibles ou non de constituer une infraction pénale en matière d’atteinte aux biens, de manquements au devoir de probité et aux règles spécifiques du code de la mutualité ».
Les faits concernent des opérations ou des contrats dont plusieurs proches du ministre ont bénéficié, avec les Mutuelles de Bretagne, alors qu’il en était le directeur général, de 1998 à 2012. En 2011, la compagne de M. Ferrand a notamment pu financer l’acquisition d’un bien immobilier privé, d’une valeur finale de 586 000 euros, grâce à la mise sur pied d’une société civile immobilière (SCI) créée pour l’occasion et aux loyers versés par les Mutuelles de Bretagne.
La ligne fixée par le premier ministre, Edouard Philippe, sur le plateau de France 2, mardi 30 mai, à savoir qu’un ministre mis en examen démissionne, n’est pas franchie. Officiellement, donc, la présence de M. Ferrand au gouvernement n’est pas remise en question. Sur LCI, jeudi à la mi-journée, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a estimé que l’ouverture de cette enquête préliminaire est « une bonne nouvelle ». « Cela va permettre de sortir du débat moral et de la lecture d’articles de la presse qui mettent en cause Richard et de laisser à celles et ceux qui en ont le pouvoir et la capacité d’instruire le dossier », a-t-il poursuivi. Mais le cas du ministre de la cohésion des territoires devient de plus en plus difficile à gérer politiquement, à dix jours d’un premier tour d’élections législatives capitales pour la suite du quinquennat.
« Un malaise perceptible »
Lors du conseil des ministres de mercredi, le président de la République, Emmanuel Macron, a appelé le gouvernement à la « solidarité », estimant aussi que la presse ne doit « pas devenir juge », a rapporté Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement. M. Castaner a néanmoins reconnu « un malaise perceptible ».
« Oui, je suis un homme honnête », a de son côté assuré sur France inter, mercredi, M. Ferrand. « Tout ce que j’ai fait dans ma vie professionnelle est légal, public, transparent » Le ministre, pilier de la majorité présidentielle et soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, a exclu toute démission, expliquant qu’il « ne le [ferait] pas pour deux raisons : d’abord, j’ai ma conscience pour moi, je ne suis pas mis en cause par la justice de la République que je respecte profondément, et (…) je veux me consacrer aux priorités de mon ministère ».
L’affaire Ferrand vient affaiblir le discours du gouvernement sur le retour de la confiance des citoyens dans l’action publique. François Bayrou, dont l’alliance avec M. Macron pour l’élection présidentielle s’est faite sur un accord pour une loi de moralisation, va donc devoir sortir du silence qu’il a gardé depuis son entrée au gouvernement.
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