Les espèces exotiques envahissantes, les plantes et animaux déplacés par l’activité humaine, prolifèrent sur la planète. Elles constituent une menace mondiale majeure pour la nature, les économies, la sécurité alimentaire et la santé humaine. C’est l’alerte lancée ce lundi 4 septembre par la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES).
Dans la nature aussi, l’enfer, ce sont parfois les autres. Les espèces exotiques envahissantes, introduites par l’homme dans des environnements dont elles ne sont pas originaires, se propagent de plus en plus rapidement dans le monde, causant des dégâts faramineux. Frelon asiatique, écrevisse américaine, ambroisie, renouée du Japon : les envahisseurs prolifèrent, favorisés par la mondialisation ou le changement climatique. Ils ravagent cultures et forêts, propagent des maladies et menacent la qualité de la vie sur Terre. Un raz de marée face auquel l’humanité s’est pour l’instant révélée relativement impuissante.
Pour évaluer et contrer cette « urgence immédiate », la plate-forme de l’IPBES – surnommée le Giec de la biodiversité – a publié lundi un rapport inédit. Une synthèse réalisée par 86 experts internationaux de 49 pays. Au total, elle dénombre 37 000 espèces exotiques dans le monde.
Parmi elles, moins de 10% sont considérées comme invasives. C’est-à-dire qu’il existe « des preuves » des « effets négatifs », et dans certains cas « irréversibles » qu’elles provoquent, selon ce panel qui conseille la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB). Parmi ces ennemis publics, 6% sont des plantes, 22% des invertébrés, 14% des vertébrés et 11% des microbes.
Des dégâts chiffrés à plusieurs centaines de milliards de dollars
Les espèces invasives sont une grave menace pour la biodiversité. Elles jouent un « rôle majeur » dans la majorité des extinctions et dans 16% des cas, elles en sont même l’unique cause, d’après le rapport, que cela soit via le bouleversement des écosystèmes, l’entrée en compétition avec les espèces indigènes ou directement la prédation. Mais les retombées se font également sur l’économie.
« Ça va être, par exemple, les pertes agricoles, qui peuvent être très importantes, soit des espèces d’insectes qui vont détruire des récoltes, ou des champignons, détaille Franck Courchamp, chercheur au CNRS et l’un des rapporteurs principaux du rapport. On a des pertes en sylviculture, apiculture, viticulture. On a aussi des pertes pour l’immobilier, il y a des endroits où les terrains ne valent plus rien, parce qu’ils ont été envahis par des fourmis envahissantes par exemple. Le tourisme en souffre aussi. »
Un exemple emblématique récent, à la fois désastreux pour la biodiversité et l’économie locale, l’incendie meurtrier sur l’île de Maui dans l’archipel d’Hawaï. L’incendie a été alimenté en partie par des plantes importées pour nourrir le bétail, qui se sont propagées dans les plantations sucrières abandonnées.
Ces espèces exotiques coûtent 423 milliards de dollars par an aux sociétés humaines. Les dégâts sont chiffrés pour la première fois à l’échelle mondiale par l’IPBES, qui constate que cela quadruple chaque décennie depuis 1970.
Un chiffre lourd puisqu’il est aussi alimenté par des dépenses de santé. « Ça peut être des problèmes d’allergies graves à des pollens de plantes envahissantes, explique Franck Courchamp. En Europe, il y a l’ambroisie et il y a 13 millions de personnes qui sont sensibles à ça. Il peut y avoir des piqûres d’insectes : à cause de la petite fourmi de feu, aux États-Unis, c’est 100 000 hospitalisations par an »
Un combat perdu d’avance ?
L’Europe, les Amériques et l’Asie centrale abritent les plus grandes concentrations de ces nuisibles. Et les îles et les peuples indigènes très dépendants de la nature sont particulièrement vulnérables.
« Les menaces liées aux invasions biologiques progressent à un rythme sans précédent » partout dans le monde, « et c’est certain, les choses vont encore grandement s’aggraver », alerte Helen Roy, l’une des trois co-présidents du rapport. Si rien n’est fait, l’IPBES estime que leur nombre aura augmenté de 36% en 2050 comparé à 2005.
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Un problème insoluble ? Pas forcément. « Gérer les invasions biologiques est réaliste et atteignable, avec à la clé des bénéfices substantiels pour la nature et les personnes », estime l’IPBES. Trois lignes de défense existent : la prévention, l’éradication et le confinement. La première restant « l’option la plus rentable ».
Adopter davantage de stratégies nationales pour s’attaquer au problème
Pour l’instant, seuls 17% des pays ont adopté des stratégies nationales pour s’attaquer frontalement au problème, chiffre le rapport. « Le coût de l’inaction est vraiment élevé », souligne Anibal Pauchard, coprésident du rapport. « Les humains sont au cœur du problème, mais ils sont également au centre de la solution », renchérit Helen Roy.
L’accord de Kunming-Montréal, adopté par la communauté internationale fin 2022, fixe comme objectif de réduire de 50% le taux d’introduction d’espèces exotiques envahissantes d’ici 2030. Selon Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES, cet engagement est « essentiel, mais aussi très ambitieux ». Le rapport fournit « les preuves, les outils et les options nécessaires » pour le rendre « plus réalisable ».