Courame tente de renaître de ses cendres. Le village a été abandonné pendant six longues années, la plupart de sa population ayant trouvé refuge en Gambie en 1992. Aujourd’hui, ce village, qui a subi de plein fouet le conflit entre l’armée sénégalaise et le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), tente de se reconstruire. Situé dans la commune de Kataba 1, dans le département de Bignona, Courame se trouve à plus de 140 kilomètres de la ville de Ziguinchor.
La vie reprend sson cours dans un village très enclavé. Il est plus accessible depuis la Gambie. C’est d’ailleurs cet itinéraire que la délégation du programme Minority Rights Group (MRG), qui s’intéresse aux liens entre les problèmes des minorités ou autochtones et les conflits au Ghana, au Sénégal et en Sierra Leone, pilotée par Fahamu au Sénégal, a choisi d’emprunter pour se rendre à Courame. C’est un trou perdu dans une zone de formation forestière tropicale.
La route, un véritable chemin de croix
Partant de Ziguinchor, elle était déjà à la frontière pour les contrôles à midi. Les autorités, bien qu’informées de la mission, n’avaient pas donné d’instructions pour permettre son passage à Courame. Pour obtenir une confirmation, il a fallu attendre au moins trois heures. Nous sommes le jeudi 21 septembre, et quelques jours auparavant, un homme a ouvert le feu sur trois policiers à Banjul. Deux sont morts sur le coup, tandis que le troisième a succombé à ses blessures plus tard. Le présumé meurtrier, identifié comme étant Oussainou Bojang, a été arrêté au Sénégal, retranché à Diouloulou, près de Courame, après son crime. Il a été extradé vers la Gambie, le jour de son arrestation. Tous ces éléments ont justifié la réticence des forces de l’ordre à la frontière, qui ne voulaient prendre aucune décision concernant le passage d’une quinzaine de journalistes de différentes nationalités.
Face à cette longue attente, le Chef du village de Courame, informé du retard, est venu trouver la délégation à la frontière gambienne. Après de nombreuses négociations infructueuses, il a proposé un itinéraire de contournement, soit au moins 105 kilomètres à parcourir.
Après plusieurs kilomètres sur la route de Bignona à partir de Diouloulou, nous sommes entrés dans la « zone rouge », comme on l’appelait avant le calme relatif du conflit du MFDC. À cette époque, personne n’osait traverser en raison des représailles. Aujourd’hui encore, bien que la situation semble calme, la zone reste peu peuplée. On aperçoit seulement quelques petites maisons dans les bois, des villages et des hameaux. Par exemple, à Djakoy Banga, l’un des villages sur la route, quelques habitants sortent de leurs maisons pour observer le véhicule s’éloigner. Puis vient Batong, un autre petit village, suivi de Boulighoyre. Il reste encore cinq kilomètres avant d’arriver à Djibidione, un village historique connu pour son comptoir commercial à l’époque coloniale. Ici, on peut déjà sentir une touche de modernité, avec un cantonnement militaire facilement identifiable. Les militaires inspectent le véhicule, s’informent de la destination et de l’objectif de la visite avant de nous laisser passer.
Après Djibidione, le village de Djiral, où il faut également s’identifier au barrage militaire. À deux kilomètres de Courame, notre destination finale, le véhicule s’est embourbé dans un « petit marigot » qui traverse la route. Il est précisément 19h15. Les nombreuses tentatives de la délégation pour sortir le véhicule de l’eau ont échoué. Le Chef du village a fait appel à l’ambulance locale, qui a remorqué le minibus. Cette ambulance a ensuite transporté tout le monde au village de Courame par petits groupes. Il est désormais 19h48, dans un village non électrifié. Une lampe solaire diffuse une lumière faible dans la grande cour du chef. Sur place, une population diversifiée nous attend en nous accueillant selon les traditions locales.
Courame a vécu le conflit casamançais.
La terre est fertile, l’agriculture y prospère. C’est d’ailleurs ce que pratiquait le premier homme qui a fondé le village. Sékou Diatta et ses compagnons pouvaient produire abondamment sans recourir à des engrais ni à d’autres fertilisants. Quand il s’est établi, les habitants ont commencé à affluer. De famille en famille, le village s’est constitué. Aujourd’hui, plus de 1200 habitants répartis en 76 ménages y sont enregistrés. La localité de Courame est principalement peuplée de jeunes.
Pendant le conflit, le village faisait partie des « zones rouges ». En 2006, toutes les populations se sont dispersées à la recherche d’un refuge en raison des affrontements, d’abord entre différentes factions de combattants de 1997 à 2005. En 2006, le MFDC s’est installé et a commencé à affronter l’armée qui cherchait à neutraliser les factions rebelles. La violence est devenue insupportable, forçant les habitants à partir. Les destinations privilégiées étaient Serekunda en Gambie, ainsi que les villes de Ziguinchor, Kolda, et d’autres.
« Quand on quitte son village pour avoir entendu les armes retentir, on essaie de revenir quand le bruit s’estompe mais… »
« Quand on quitte son village à cause des armes qui retentissent, on essaie de revenir lorsque le bruit s’estompe, mais le souvenir reste douloureux », a raconté Lamine Koly. Selon lui, lorsqu’une personne quitte précipitamment son village, ce ne sont pas ses biens qui comptent, mais plutôt la survie de sa famille et de lui-même. Les femmes ont d’abord fui avec les enfants, tandis que les hommes se sont réfugiés dans la brousse voisine, à la fois par instinct de survie et pour éviter toute affiliation à une faction. Les coups se rapprochaient progressivement, obligeant les habitants à abandonner leurs biens, leur bétail et leurs provisions pour chercher un refuge incertain. Des morts sont à déplorer du côté des militaires et des combattants, mais les villageois ne cherchent pas à comprendre les raisons profondes du conflit. Le chef affirme qu’il ne peut donner raison à aucun camp, se contentant de constater les souffrances endurées par la population qui peine à retrouver sa vie d’avant-guerre.
Retour timide
Le retour des habitants s’est effectué lentement, et en 2012, ils ont même participé aux élections malgré des rumeurs d’atteinte à leur intégrité. Ayant beaucoup souffert en tant que réfugiés, ils ont choisi de ne pas partir cette fois-ci. « Nous avons préféré mourir plutôt que de repartir souffrir loin de notre pays », explique Lamine Koly.
Courame dispose d’une école depuis 1983. En 2008, les enfants partis avec leurs parents ont été inscrits en Gambie pour suivre le programme de ce pays. Beaucoup ont abandonné l’école à un moment donné parce que leurs parents ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins scolaires. À leur retour, l’idée de rouvrir l’école a germé. Depuis 2012, les élèves ont la possibilité d’aller à l’école, mais uniquement jusqu’au primaire. Ceux qui réussissent leur entrée en sixième sont contraints de poursuivre leurs études ailleurs ou d’abandonner, faute de moyens, explique le chef.
Une santé totalement malade
En ce qui concerne la santé, Courame dispose d’un poste de santé qui manque cruellement de ressources. Les femmes accouchaient chez elles jusqu’en 2012, date à laquelle un poste de santé a été établi. Un bâtiment précaire a été construit pour permettre aux femmes d’accoucher dans des conditions plus appropriées. Cependant, il y a toujours un manque de commodités, le panneau solaire ne fonctionne pas. L’accès à l’eau potable n’est pas effectif. Pour certains malades graves, il faut se rendre à 36 kilomètres de là, à Diouloulou, sur une route peu praticable. Même pour une échographie pendant le huitième mois de grossesse, il faut effectuer ce long trajet. Les habitants estiment qu’il serait préférable que les autorités équipent le poste de santé avec l’installation de l’eau courante et de l’électricité pour améliorer les conditions de soins.
Courame : Au cœur d’un village qui se remet encore du conflit casamançais (seneweb.com)