Iran : Un incendie a éclaté ce samedi 15 octobre au soir à la prison d’Evine à Téhéran, où des coups de feu ont été entendus selon des ONG, alors que la journée a été marquée par de nouvelles manifestations contre le pouvoir, un mois après le début du mouvement de contestation déclenché par la mort de Mahsa Amini.
Des « troubles » ont éclaté samedi soir dans la prison d’Evine à Téhéran, mais la « situation est sous contrôle ». C’est en tout cas la version rapportée par l’agence de presse officielle Irna, qui fait état de huit blessés dans l’incendie.
« Les voyous ont mis le feu à un entrepôt de vêtements à l’intérieur de la prison d’Evine, ce qui a provoqué un incendie », a affirmé un haut responsable de sécurité cité par Irna, affirmant que des heurts ont opposé des « émeutiers » à des employés de la prison. Le site Internet du ministère de la Justice, Mizan Online, indique de son côté que l’incendie a éclaté « à la suite d’un conflit entre plusieurs détenus ayant des condamnations financières et des vols ».
Dans la soirée, des images partagées sur Twitter par l’organisation non gouvernementale Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, montraient d’immenses flammes et une épaisse fumée se dégager de la prison, où sont détenus des prisonniers d’opinion, alors que des coups de feu étaient entendus.
Evin Prison in Tehran is on fire and shots can clearly be heard. The life of every political and ordinary crime prisoner is at grave risk. #مهسا_امینی #زندان_اوین
cc: @JavaidRehman @UN_SPExperts @antonioguterres @UNHumanRights pic.twitter.com/6dmj6x3aX7
— Iran Human Rights (IHR NGO) (@IHRights) October 15, 2022
Des cris de « Mort au dictateur », l’un des slogans les plus scandés dans les manifestations consécutives à la mort de Mahsa Amini, il y a un mois, étaient également audibles en arrière-plan d’une vidéo postée par le média en ligne 1500tasvir, qui recense les violations des droits humains.
People are chanting on the streets to Evin Prison. Mobile internet has been cut off in many parts of Tehran.#MahsaAmini #IranRevolution#مهسا_امینیpic.twitter.com/eCHInvqsSe
— 1500tasvir_en (@1500tasvir_en) October 15, 2022
Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini, cette jeune Iranienne de 22 ans, était décédée trois jours après son arrestation par la police des mœurs à Téhéran pour avoir, selon celle-ci, enfreint le code vestimentaire strict de la République islamique pour les femmes prévoyant notamment le port du voile. Les autorités iraniennes affirment que la jeune femme est morte des suites d’une maladie et non de « coups », d’après un rapport médical rejeté par son père. Son cousin a affirmé qu’elle était décédée après « un violent coup à la tête ». La contestation a suscité des rassemblements de solidarité à l’étranger et la répression, qui a fait plus de 100 morts selon des ONG, a été condamnée par la communauté internationale.
Malgré les fortes perturbations du réseau Internet et le blocage par les autorités de l’accès aux applications Instagram et WhatsApp, des Iraniens, à l’appel en ligne de militants, se sont une nouvelle fois rassemblés samedi dans les rues de la ville d’Ardabil (nord-ouest) selon des vidéos partagées sur Twitter.
⚠️ Confirmed: Metrics show a new major disruption to internet traffic in #Iran from ~10 a.m. local time; the incident comes amid calls for nationwide anti-government protests 30 days after the death of #MahsaAmini 📉
📰 Background: https://t.co/8cCHIJirpI pic.twitter.com/2wodSJYx5S
— NetBlocks (@netblocks) October 15, 2022
Des commerçants se sont mis en grève à Saghez, la ville natale de Mahsa Amini dans la province du Kurdistan (nord-ouest), et à Mahabad (nord), d’après le média en ligne 1500tasvir, qui recense les violations des droits humains.
People in Mashhad continue to protest. « Mullah should go away! » they chant on the street.#مهسا_امینی #MahsaAmini #IranRevolution pic.twitter.com/yZTMqbp8A5
— 1500tasvir_en (@1500tasvir_en) October 15, 2022
Dans les rues, des chants antigouvernementaux
« Des écolières dans le village de Ney à Marivan (ouest) ont provoqué des feux dans la rue et crié des chants antigouvernementaux », a indiqué Hengaw, un groupe de défense des droits des Kurdes d’Iran basé en Norvège. Des jeunes ont également manifesté dans les universités de Téhéran, d’Ispahan (sud) et de Kermanshah (nord-ouest), selon des images partagées en ligne.
« Our Mahsa, our Nika, our Neda for freedom »
Tehran University protesters’ slogan today#مهسا_امینی #MahsaAmini #IranRevolution pic.twitter.com/j4SGSnsKfX— 1500tasvir_en (@1500tasvir_en) October 15, 2022
Les manifestants répondaient à un appel de militants à des protestations massives sous le slogan « Le début de la fin ! » (du pouvoir, ndlr). Ces militants ont encouragé les Iraniens à manifester dans des endroits où les forces de sécurité ne sont pas présentes et à scander « Mort au dictateur », en référence au guide suprême Ali Khamenei.
D’après les vidéos publiées sur les réseaux sociaux, les manifestants n’étaient pas aussi nombreux que les semaines précédentes, explique notre correspondant à Téhéran, Siavosh Ghazi. Selon des témoins, il n’y a eu aucune manifestation dans plusieurs places et quartiers de Téhéran qui avaient pourtant connu des rassemblements importants ces dernières semaines. De nombreuses vidéos d’arrestation de manifestants de manière violente ont également été publiées sur les réseaux sociaux. Sur certaines vidéos, l’on peut voir des membres des forces de l’ordre en civil arrêter violemment des manifestantes et les pousser de force dans des voitures.
Le pouvoir semble plus que jamais déterminé à mettre fin au mouvement de contestation. Un responsable de la milice islamique, les fameux bassidjis, a ainsi affirmé que des dizaines de milliers de volontaires étaient mobilisés pour faire face à tout mouvement de trouble dans la capitale.
Et face à ces manifestations, le Conseil islamique de coordination du développement, un organisme officiel, a appelé les Iraniens à dire dans les mosquées, après la prière du soir samedi, « leur colère contre les émeutiers et la sédition ».
Au moins 108 personnes tuées par les forces de sécurité
Depuis le 16 septembre, des jeunes femmes, étudiantes et écolières, sont le fer de lance des manifestations : elles scandent des slogans antigouvernementaux, enlèvent leur foulard et affrontent les policiers.
Au moins 108 personnes ont été tuées dans la répression, selon l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. Amnesty International a affirmé qu’au moins 23 enfants de 11 à 17 ans avaient été « tués par les forces de sécurité ». Et des centaines de personnes ont été arrêtées.
Dénonçant la politique de deux poids, deux mesures, le chef de la diplomatie iranienne Hossein Amir-Abdollahian a affirmé vendredi : « Qui aurait cru que la mort d’une seule fille serait aussi importante pour les Occidentaux ? Qu’ont-ils fait concernant les centaines de milliers de martyrs et de morts en Irak, en Afghanistan, en Syrie et au Liban ? »
Soutien de la communauté internationale
Les Occidentaux continuent d’apporter leur soutien aux manifestants. Vendredi, le président américain Joe Biden, dont le pays est ennemi juré de l’Iran, a affirmé se tenir « aux côtés des courageuses femmes d’Iran », appelant le pouvoir à « mettre fin à la violence contre ses citoyens ». Les dirigeants iraniens accusent les États-Unis de déstabiliser leur pays en fomentant des « émeutes ».
Alors que l’Union européenne s’apprête à imposer lundi des sanctions à l’Iran, le chef de la diplomatie iranienne a appelé l’UE à adopter une « approche réaliste ». Après une vaste campagne d’arrestations contre des artistes, des dissidents, des journalistes et des sportifs, le réalisateur de cinéma iranien Mani Haghighi a affirmé vendredi sur une vidéo avoir été interdit de se rendre au Royaume-Uni en raison de son soutien aux manifestations, qu’il a qualifiées de « grands moments dans l’histoire ».