J‘ai lu, avec délectation, le roman historique du professeur Seyid Ould Bah pour trois raisons: l’auteur qui compte au nombre des intellectuels mauritaniens qui méritent d’être estimés;
le personnage principal considéré par des générations comme une icône nationale, un exemple d’abnégation, de courage et d’intransigeance dans son combat pour ses convictions du moment; la période historique dans laquelle se situent les événements rapportés, une période qui a marqué l’histoire du pays et laissé des traces indélébiles dans les esprits de ceux qui l‘ont vécue et de ceux de nombreuses autres générations.
La lecture de ce livre m‘a inspiré les commentaires qui suivent. Écrit par un éminent philosophe, ce livre ne pouvait échapper au débat feutré, affectif et distanciel entre une approche philosophique faite de doutes et de scepticisme et l’engagement militant obstiné fondé sur des convictions inébranlables.
L’auteur résume parfaitement ce dialogue de sourds, qui n‘a, a aucun moment, altéré la qualité de la tolérance et du respect mutuel des deux personnages, par la question de savoir s‘il est préférable d‘avoir toujours eu raison avec Raymond Aron ou d‘avoir toujours eu tort avec Jean Paul Sartre.
Une question qui reste, à ce jour, toujours posée. Nous sommes plusieurs a ne pas regretter d’avoir crus à ces „illusions“. Il est vrai qu‘avec le recul il était chimérique de mener avec succès, dans le contexte de la Mauritanie de l’époque, une révolution fondée sur l’alliance du prolétariat et de la classe paysanne.
Avec le recul également, l’aboutissement hypothétique d‘un tel processus n’aurait même pas été souhaitable. Sur ces points les analyses et constats du philosophe sont sans appel. Faut il pour autant considérer l’engagement du militant comme déraisonnable, vain et sans intérêt. C‘est là que se situe le paradoxe des choses car Aron n‘a pas toujours eu raison et Sarte n‘a pas toujours eu tort.
Les „illusions » de l’époque ont été, sans que cela fusse leur objectif de départ, fécondes dans de nombreux domaines: Elles ont été le socle doctrinaire sur lequel s‘est construit un mouvement patriotique désintéressé, résolu dans son engagement au service de ce qu’il pensait être l’intérêt général, porteur de valeurs, d’idées, de convictions qui a marqué l’histoire politique, intellectuelle du pays Ce mouvement a contribué pour une part essentielle à enraciner les positions devenues largement partagées sur l’unité nationale, l’éradication de l‘esclavage et de ses séquelles, la lutte contre la précarité des plus démunis.
On porte aussi a l‘actif de ce mouvement les réformes du début des années 70. Des réformes d’envergure qui ont hissé à un niveau élevé le prestige du pays, sa maîtrise de ses richesses et son indépendance monétaire et budgétaire. On continue à ce jours de tirer profit des effets de ces réformes tant au plan économique que diplomatique et sécuritaire.
L’objectivité dicte cependant de ne pas s’en approprier tout le mérite même si elles ont été décidées dans un contexte d’intenses pressions politiques. Il faut reconnaître aux autorités de l’époque d’avoir eu l’intelligence de tirer les bonnes conclusions pour décider, avec courage et patriotisme, de mettre en œuvre ces reformes.
Ce mouvement a donné l’occasion à de nombreux mauritaniens de se connaître de s’apprécier et de nouer des relations d’amitié et de fraternité au delà de leurs origines ethniques, régionales ou culturelles. La plupart de ces relations ont pu résister aux épreuves du temps. Je conseille vivement a tous la lecture de cet ouvrage.
Le roman du professeur Seyid Ould Bah | Note de lecture (cridem.org)