De la relation américaine avec la Russie et la Chine à la nature de l’OTAN, Trump a changé de cap sur une série de dossiers de politique étrangère.
Après cent jours à la Maison Blanche, le premier bilan de Donald Trump sur la scène internationale donne le tournis. Le candidat Trump avait estimé que la politique étrangère américaine était dépourvue de boussole depuis la fin de la guerre froide. Il plaidait pour la fin de l’interventionnisme, sans pour autant renoncer à « déployer des forces armées » chaque fois qu’il n’y aura pas d’alternative, avec pour ambition la « victoire avec un grand V ». De façon générale, il fustigeait tous azimuts le comportement de Barack Obama en politique étrangère.
Mais, devenu président, Donald Trump a changé brusquement de cap sur une série de dossiers : de la relation américaine avec la Russie et la Chine à la nature de l’OTAN. Il a également suscité l’inquiétude de ses partenaires en raison de l’incertitude de ses orientations, confirmant une ligne mouvante, évoluant au gré des événements et des rencontres. « Je suis flexible et je suis fier de cette flexibilité », répond-il, comme il l’a fait quelques jours à peine avant sa décision d’envoyer des missiles contre une base militaire syrienne.
SYRIE
SES PROMESSES
En 2013, Donald Trump avait dénoncé dans des Tweet particulièrement virulents l’intervention de Barack Obama : « Le président doit avoir l’accord du Congrès avant d’attaquer la Syrie – Grosse erreur s’il ne l’a pas », avait-il écrit en août 2013.
Un mois plus tard, après la volte-face de M. Obama refusant d’intervenir militairement après l’emploi de gaz de combat par les forces de Bachar Al-Assad, M. Trump avait imploré le président de ne « pas attaquer la Syrie, mais de remettre les Etats-Unis sur pied ». « La seule raison pour laquelle le président Obama veut attaquer la Syrie est pour sauver la face au sujet de son affirmation idiote de ligne rouge », avait-il ajouté.
Le 20 décembre 2015, lors d’un entretien télévisé, il évoque Bachar Al-Assad : « Nous combattons Assad et nous combattons l’Etat islamique et Assad lutte contre l’EI. Nous ne savons pas ce que nous faisons. Nous avons tous ces combats en cours, nous ne savons pas ce que nous faisons. Vous devez faire une chose après l’autre. Nous devons nous débarrasser de l’EI. C’est le plus important, nous devons le faire rapidement et nous devons le faire avec force et réussir. »
SES ACTES
Deux jours après le bombardement chimique du 4 avril sur la localité de Khan Cheikhoun attribué au régime de Bachar Al-Assad, le président Trump a ordonné, dans la nuit du 6 au 7 avril, sans accord préalable du Congrès, le bombardement d’une base aérienne de l’armée syrienne située près de Homs.
Ces frappes ont affecté les relations entre Washington et Moscou, soutien du régime syrien. La Russie a mis son veto, le 12 avril, au Conseil de sécurité de l’ONU, à une résolution portée par Paris, Londres et Washington afin d’obliger le gouvernement syrien à collaborer à l’enquête sur l’attaque chimique contre Khan Cheikhoun. La Russie a toutefois rétabli sa participation à l’accord sur la sécurité aérienne au-dessus de la Syrie, vital pour éviter un accident entre les avions russes et ceux de la coalition internationale.
Sur les réfugiés, M. Trump n’a pas changé de position. « Nous avons tellement de problèmes, nous ne pouvons pas nous occuper de ce genre d’affaires », a-t-il dit. Et, au sujet d’une éventuelle intervention de troupes au sol, le président a fait part d’un refus catégorique : « Nous n’avons pas besoin de ces sables mouvants », a-t-il soutenu, rejoignant la position de son prédécesseur.
AFGHANISTAN
SES PROMESSES
Comme pour la Syrie ou la Corée du Nord, Donald Trump s’était présenté comme un intraitable isolationniste, avant d’être candidat à l’élection présidentielle. L’Afghanistan est « un désastre complet et total », affirme-t-il ainsi le 13 mars 2012 à New York. « Que faisons-nous ? Nous avons tous ces événements horribles qui se produisent là-bas et nous n’arrivons même pas faire marcher notre propre pays », ajoute-t-il. « Sortons de l’Afghanistan ! Nos troupes sont tuées par les Afghans que nous formons et nous gaspillons des milliards là-bas. C’est un non-sens ! Reconstruisons les USA ! », tweete-t-il encore le 11 janvier 2013.
SES ACTES
La Maison Blanche a largué, jeudi 13 avril, en Afghanistan, la plus puissante bombe non nucléaire jamais utilisée dans des combats contre un groupe d’insurgés ayant fait allégeance à l’organisation Etat islamique (EI). Selon un porte-parole du Pentagone, l’engin de plus de 9 tonnes surnommé la « mère de toutes les bombes » (15 millions d’euros l’unité et jamais utilisée depuis sa mise au point en 2003) était destiné à détruire des souterrains utilisés par les djihadistes dans la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan.
Manifestation à Kaboul le 16 avril contre le bombardement d’un village de l’est de l’Afghanistan avec la « mère de toutes les bombes ».
Selon les analystes, Donald Trump cherche à réaffirmer que la lutte contre les mouvements djihadistes reste sa priorité. En utilisant une telle bombe, il fait aussi la démonstration de son absence d’états d’âme quant à l’usage de la force et de moyens inédits. Un message destiné notamment à la Corée du Nord. L’Iran, aussi, est dans le collimateur.
RUSSIE
SES PROMESSES
Le candidat Donald Trump a maintes fois répété qu’il souhaitait améliorer les relations avec Moscou. Il a affirmé vouloir ajouter la Russie au rang des alliés dans la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient pour vaincre l’EI. Interrogé en 2015 au sujet du soutien que lui avait apporté Vladimir Poutine, il répond : « Oui, c’était très gentil, il a dit de grandes choses, il m’a même qualifié de brillant, n’est-ce pas sympa ? » Son élection a été saluée par Moscou comme l’avènement d’un meilleur partenaire.
SES ACTES
La frappe du 6 avril en Syrie a brutalement mis fin aux rêves d’idylle. L’« allié » Vladimir Poutine a pris ses distances. « A propos de notre relation avec la Russie, il se peut que nous soyons tombés au plus bas niveau de tous les temps », a admis le 12 avril Donald Trump, interrogé sur le veto russe à la proposition de résolution à l’ONU qui visait Bachar al-Assad. A Moscou, ce même jour, lors de la rencontre entre Vladimir Poutine et le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson, le dirigeant russe estime que les relations entre les deux pays se sont « dégradées ».
CORÉE DU NORD
SES PROMESSES
Le candidat Trump a affirmé qu’il effectuerait des pressions économiques sur la Chine pour que Pékin règle le problème nord-coréen. « La Chine a le contrôle, le contrôle absolu de la Corée du Nord. Ils ne le disent pas mais ils le font et ils devraient faire disparaître ce problème », dit-il le 10 février 2016. En janvier 2017, lors de sa visite à Séoul, le secrétaire américain à la défense, James Mattis, déclare que la Corée du Nord est une « menace sérieuse », confirmant l’intention de Washington de mettre en place en Corée du Sud le bouclier antimissile Thaad (Terminal High Altitude Area Defense).
SES ACTES
Le tir par la Corée du Nord, le 12 février, d’un missile, qui s’est abîmé en mer du Japon, suivi le 6 mars par le lancement de quatre missiles balistiques vers la mer du Japon a accéléré le déploiement et la mise en service du système de défense antimissile Thaad (Terminal High Altitude Area Defense) en Corée du Sud. Parallèlement, le 8 avril, Washington annonçait que le porte-avions USS Carl-Vinson et son escadre se dirigeaient vers la péninsule coréenne « par mesure de précaution » après les « provocations » de Pyongyang. Quatre jours plus tard, Donald Trump faisait de la surenchère : « Nous sommes en train d’envoyer une armada. Très puissante. » Finalement, l’escadre a fait route vers l’Australie et ne devrait s’approcher de la péninsule coréenne que fin avril.
Ce déploiement a été présenté comme un signe que Donald Trump n’écartait pas l’option militaire en Corée du Nord. Il a fait, en effet de la résolution de la crise nord-coréenne une priorité, s’est en effet tourné vers la Chine, qui a semblé renforcer les pressions économiques sur Pyongyang. « Le statu quo sur la Corée du Nord est inacceptable », a expliqué le président américain, le 24 avril, aux ambassadeurs auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Deux jours plus tard, la Maison Blanche a reçu cent sénateurs pour leur exposer sa stratégie : « Augmenter la pression sur la Corée du Nord afin de convaincre le régime [de la nécessité] d’une désescalade et de reprendre le chemin du dialogue. »
Lire aussi : « Reprends ton Thaad ! » : en Corée du Sud, le déploiement controversé du bouclier antimissile américain
OTAN
SES PROMESSES
Le candidat républicain s’était montré très critique à l’égard de l’Alliance atlantique, la jugeant « obsolète ». Donald Trump avait insisté sur le fait que les Etats-Unis n’avaient pas pour vocation à garantir la paix à n’importe quel prix. « Les pays que nous défendons doivent payer pour le coût de leur défense. Sinon, les Etats-Unis doivent être prêts à laisser ces pays se défendre eux-mêmes », avait-il averti.
SES ACTES
« J’ai dit que l’OTAN était obsolète, elle n’est plus obsolète. » Le revirement de M. Trump sur le dossier a été rapide et spectaculaire. Il a fallu une rencontre le 12 avril à la Maison Blanche avec le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, pour que le président parachève son réalignement sur la position traditionnelle américaine. M. Trump, qui se rendra à son quartier général en Belgique, fin mai, a même loué une organisation qui est un « rempart pour la paix internationale et la sécurité ».
Pour justifier son changement de cap, le président Trump a répété une affirmation controversée selon laquelle l’OTAN se serait tournée vers le contre-terrorisme sous sa pression : « Je me suis longtemps plaint à ce sujet et ils ont changé. Maintenant, ils luttent contre le terrorisme », a-t-il assuré. « Nous devons travailler ensemble [avec l’OTAN] pour résoudre la catastrophe qui a lieu actuellement en Syrie », a-t-il encore dit en remerciant les pays de l’Alliance pour leur condamnation de l’attaque chimique du 4 avril, imputée au régime Assad.
Donald Trump semble s’être également assagi au sujet du financement de l’institution, qu’il jugeait « injuste » pendant la campagne électorale. M. Stoltenberg, qui défend l’objectif d’un niveau de dépense égal à 2 % du produit intérieur brut, a rendu ostensiblement hommage mercredi à son hôte en assurant « voir déjà les effets » de son insistance sur « l’importance du partage du fardeau ».
CHINE
SES PROMESSES
Durant sa campagne, Donald Trump n’a eu de cesse de critiquer la Chine, cible privilégiée aux côtés des migrants mexicains. Le candidat républicain a répété que Pékin était le « grand champion » de la manipulation monétaire. Il a accusé la Chine de « prendre [leurs] emplois » et de « voler des centaines de milliards de dollars de [leur] propriété intellectuelle ». Nombreux étaient alors les observateurs évoquant la possibilité d’une guerre commerciale avec la Chine en cas de victoire du magnat de l’immobilier. La tension est encore montée d’un cran lorsque le président élu a semblé vouloir rompre avec la ligne diplomatique vieille de quarante ans, dite de la « Chine unique », après un entretien téléphonique, le 3 décembre 2016, avec la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen.
SES ACTES
Finalement, M. Trump a reculé sur la question de la politique d’« une seule Chine ». Et finalement, Pékin ne pas sera pas fiché comme « manipulateur de devise ». Les demandes américaines pour redresser le déséquilibre commercial semblent aussi avoir été abandonnées, ou diminuées. M. Trump a même fait état de « progrès » après sa première rencontre avec le président chinois, Xi Jinping, début avril en Floride, sans donner de précisions. Lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, le 12 avril, le président américain a admis que ses relations avec Moscou s’étaient dégradées alors que celles avec Pékin s’étaient, elles, largement améliorées.
Lors d’une interview avec Reuters, le 27 avril, il a affirmé qu’il consulterait cette fois le président Xi Jinping avant de s’entretenir avec la présidente Tsai Ing-wen. « [Xi] est un de mes amis. Je pense qu’il fait un travail étonnant en tant que leader, et je ne voudrais pas faire quelque chose qui s’oppose. Donc, je voudrais certainement lui parler d’abord », a-t-il déclaré.
Pourtant, les différends de fond demeurent : divergence économique, ambitions de Pékin en mer de Chine de l’Est et du Sud, déploiement sur le territoire sud-coréen du bouclier antimissile américain Thaad, destiné à contrer une attaque nord-coréenne.
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