Futur : Une équipe de scientifiques, dirigée par des chercheurs de l’université américaine John Hopkins, planche à la conception de « bio-ordinateurs » qui reposent sur des cellules de cerveau « cultivées » in vitro. Une approche qui pourrait un jour révolutionner l’informatique. Mais les défis sont innombrables et la technologie pose aussi de grandes questions éthiques.
Organoïde, késaco ?
Ils s’appuient pour cela sur plus d’une dizaine d’années de recherche sur ce que les biologistes appellent des organoïdes. Point de science-fiction derrière ce nom étrange. Il désigne des structures cellulaires en trois dimensions cultivées à partir de cellules souches qui forment, en quelque sorte, des organes miniatures. Bien qu’incapables de simuler parfaitement un véritable organe, les organoïdes ont d’ores et déjà mille applications en biologie comme en médecine : ils permettent aux scientifiques d’étudier le comportement d’un organe hors du corps humain, de limiter les expérimentations animales lors de développement de médicaments, contribuent aussi à la recherche contre le cancer et les maladies rares.
Selon ces scientifiques, un tel processeur biologique aurait d’innombrables avantages sur les puces en silicium. Du moins pour certaines applications. « Les cerveaux humains sont plus lents que les machines pour traiter des informations simples, telles que l’arithmétique, mais ils surpassent de loin les machines dans le traitement d’informations complexes, car les cerveaux traitent mieux les données peu nombreuses et/ou incertaines » écrivent-ils. Deuxième avantage de poids, ils consomment beaucoup, beaucoup moins d’énergie.
Les capacités d’apprentissage d’un organisme biologique sont aussi largement supérieures à celles d’un ordinateur. Les chercheurs prennent l’exemple de la célèbre IA AlphaGo, de Deepmind, qui a vaincu le meilleur joueur du monde de Go en 2016. « AlphaGo a été formé sur les données de 160 000 jeux ; un humain jouant cinq heures par jour devrait jouer en continu pendant plus de 175 ans pour expérimenter le même nombre de jeux d’entraînement, ce qui indique l’efficacité bien supérieure du cerveau dans cette activité d’apprentissage complexe. » Par ailleurs, l’entraînement d’AlphaGo a nécessité une quantité d’énergie équivalente à celle nécessaire pour « soutenir le métabolisme d’un être humain durant dix ans ».
Des défis gigantesques
Des performances dignes des ordinateurs les plus puissants du monde tout en ne consommant rien, ou presque : la perspective d’une informatique « biologique » est alléchante. Mais les défis pour parvenir à cette « intelligence organoïde » que les chercheurs appellent de leurs vœux sont gigantesques. Thomas Hartung, professeur de sciences de la santé environnementale à l’université John Hopkins, qui dirige cet effort, le reconnaît d’ailleurs volontiers : « Il faudra des décennies avant que nous obtenions quelque chose de comparable à n’importe quel type d’ordinateur. Mais si nous ne commençons pas à créer des programmes de financement pour cela, ce sera beaucoup plus difficile. »
Comment faire, aussi, pour capter et enregistrer les réponses de ce « processeur » biologique ? Là encore, les recherches à effectuer sont immenses. Les scientifiques planchent notamment sur des réseaux de microélectrodes dont le fonctionnement s’inspire de la technique de l’électroencéphalogramme, qui entoureraient l’organoïde afin d’analyser la réponse des cellules. Voire de techniques « invasives », plus précises, mais plus complexes encore à mettre en œuvre.
Autre challenge de taille : analyser la quantité gigantesque de données que produiront ces organoïdes. Et là, pas de miracle, il faudra bel et bien recourir à l’informatique traditionnelle et à ses techniques de pointe pour y parvenir. Il sera en effet nécessaire de les connecter d’une manière ou d’une autre à des IA capables de décortiquer cette somme, et entreposer les données dans des data centers à la capacité de stockage gigantesque.
Un organoïde pourrait-il développer une conscience ?
Ce n’est peut-être pas plus mal, car au-delà des questions scientifiques, il y a aussi d’épineuses interrogations éthiques quant au développement de cerveaux in vitro, que les chercheurs n’éludent pas dans leur présentation.
Des organoïdes de cerveau beaucoup plus complexes que ceux cultivés aujourd’hui pourraient-ils développer une forme de conscience ? Et de ce fait, « pourraient-ils ressentir de la douleur et, si oui, souffriraient-ils – même de manière rudimentaire ? » se demandent-ils.