L’Allemagne a voté pour la prolongation de l’utilisation de l’herbicide, alors que tout laissait à penser qu’elle s’abstiendrait. La France a voté contre.
Le glyphosate a obtenu, lundi 27 novembre, une nouvelle autorisation européenne pour les cinq prochaines années. Le vote, intervenu en comité d’appel, met un terme à un feuilleton scientifico-réglementaire qui a vu échouer, pendant plus de deux ans, toutes les tentatives de la Commission européenne de trouver une majorité d’Etats membres pour remettre en selle l’herbicide controversé.
Bruxelles a obtenu la majorité qualifiée requise de justesse, les dix-huit Etats favorables ne rassemblant que 65,71 % de la population européenne sur les 65 % requis. « Ce vote montre que quand nous le voulons vraiment, nous sommes capables d’accepter notre responsabilité collective dans le processus de décision », a déclaré le commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, à l’issue de la réunion.
Revirement de la Pologne et de l’Allemagne
Inattendu, le résultat du vote est dû au revirement de la Pologne et surtout de l’Allemagne (16,06 % de la population européenne), qui ont voté favorablement après s’être abstenus au dernier comité. A Berlin, le vote allemand a d’ailleurs ouvert une crise grave entre le ministre de l’agriculture, le conservateur bavarois Christian Schmidt (CSU), et la ministre social-démocrate de l’environnement, Barbara Hendricks (SPD) : selon elle en effet, « il avait été clairement établi que l’Allemagne, lors de la réunion du comité d’appel, devait s’abstenir ». « Apparemment, le représentant du ministère fédéral de l’agriculture à Bruxelles a reçu une instruction différente de celle dont nous avions convenue, a déclaré Mme Hendricks dans un bref communiqué au vitriol. Quiconque souhaitant établir une relation de confiance entre interlocuteurs ne peut se comporter de cette façon. »
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La France a, de son côté, maintenu son opposition à la proposition de Bruxelles et semble vouloir faire fi de la décision européenne. « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans », a ainsi déclaré le président français sur Twitter quelques heures après l’issue du comité d’appel.
Interrogé par l’Agence France-Presse (AFP), Matignon « regrette » le résultat du vote européen et demande à la Commission européenne de faire « rapidement » des propositions pour revoir ses modes d’évaluation des substances chimiques.
« La France souhaite que la Commission fasse rapidement, comme elle l’a annoncé, des propositions de réforme du cadre européen d’évaluation des substances chimiques, afin de renforcer sa transparence et son indépendance. »
Tout au long des deux années d’atermoiements, la polémique scientifique n’a en effet pas cessé : d’un côté le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) des Nations unies, qui a classé le glyphosate cancérogène probable en mars 2015 et, de l’autre, les agences d’expertise européennes qui l’ont dédouané de tout danger sanitaire et dont l’indépendance a été, deux années durant, mise en doute à de nombreuses reprises.
Dissonances au sein du gouvernement
Plus tôt dans la journée, le vote des Etats membres de l’UE a suscité des réactions bien différentes au sein du gouvernement français. Ainsi, alors que Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, a fait savoir que la « France [restait] déterminée à sortir du glyphosate en moins de cinq ans », le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, s’est, lui, déclaré « heureux » que les Etats membres de l’Union européenne soient parvenus à un accord.
En France, le glyphosate est déjà interdit dans les espaces publics depuis le 1er janvier 2017 et le sera totalement pour les particuliers au 1er janvier 2019. En ce qui concerne les agriculteurs, le pays peut tout à fait, par la voix de son Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), interdire sur son territoire toutes les formulations commerciales à base de glyphosate. Il a, par exemple, déjà interdit la quasi-totalité des formulations à base de chlorpyriphos, matière active insecticide autorisée en Europe.
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Cependant, l’interdiction des produits à base du glyphosate mettrait les agriculteurs français dans une situation de concurrence déloyale par rapport à ceux des autres pays qui permettraient le recours à ces produits.
Indignation et félicitations
Du côté des organisations non gouvernementales (ONG) de défense de la santé et de l’environnement, l’indignation domine. « Aujourd’hui, les gouvernements européens ont trahi les citoyens et les générations futures en offrant à nouveau l’autorisation d’endommager notre santé et notre environnement à l’herbicide le plus utilisé au monde, au lieu de fixer une date de sortie une bonne fois pour toutes, déclare Genon Jensen, la directrice générale de Health and Environnement Alliance (HEAL), une ONG qui rassemble une soixantaine d’associations de la société civile, de syndicats de soignants ou de mutuelles. Le processus d’expertise européen, en ignorant les inquiétudes solidement établies sur les impacts du glyphosate sur la santé, va faire des dégâts sur l’image de l’Union européenne, alors que la défiance est déjà grande. »
De leur côté, les milieux agricoles se félicitent de la sortie de l’impasse. « Nous actons ce compromis de cinq ans qui n’a été possible que grâce au pragmatisme d’un grand nombre d’Etats membres européens et nous déplorons que la France ne s’y soit pas ralliée et ait choisi de faire bande à part », indique la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dans un communiqué publié immédiatement après le vote mais juste avant la déclaration du président français, réaffirmant la volonté française de sortir du glyphosate unilatéralement dans les trois prochaines années. « On est en train de se diriger vers une forme de nationalisme, une position franco-française qui ne se soucie pas du reste de l’Europe au risque de sacrifier les agriculteurs et d’assumer une distorsion de concurrence, dit au Monde Eric Thirouin, secrétaire général adjoint de la FNSEA. Je ne vois quelle est la dimension européenne du président de la République dans ce genre de déclaration. »
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