Pollution et érosion : L’air est totalement vicié! Situé à 35 kilomètres à l’est de Dakar, Bargny et ses 70 000 habitants vivent sous un couvercle de pollution aux particules fines qui menace, aujourd’hui plus que jamais, des dizaines de milliers de vies. Exposées aux émanations de la Sococim depuis 1948, les populations craignent le pire avec l’installation prochaine d’industries hyper-polluantes dans la zone telle que la sidérurgie, Tosyali Iron and Steel Sénégal SA.
La reprise des activités de la très polémique centrale à charbon et l’inauguration prochaine du Port minéralier et vraquier, viennent polluer davantage l’atmosphère, au propre comme au figuré. Et, comme pour rendre ce cocktail « démoniaque » encore plus détonnant, la Sococim lance son 6e four. Celui-ci devrait lui permettre de multiplier par deux sa production pour passer de 3,5 millions à 7 millions de tonnes de ciment par an, soit 10 000 tonnes par jour. Une montée en puissance, qui aura certes un effet bénéfique sur les finances de la boîte, mais aux contrecoups dévastateurs sur l’environnement et la santé des populations de Bargny et environs. Même si la cimenterie jure le contraire.
L’enjeu est donc énorme et est bien cerné par les Bargnois qui ont engagé l’ultime combat pour leur survie. Suffoquant, en effet, sous la poussière émanant quotidiennement des installations de la Sococim, ils ont décidé de se dresser contre ce projet aux conséquences « funestes » de la filiale du groupe français, Vicat.
Elles ont d’ailleurs montré leur désapprobation lors de l’audience publique obligatoire du 26 novembre 2021 relative à cette montée en puissance. Organisée dans l’enceinte de la Sococim, en « flagrante violation » de la réglementation en vigueur qui voudrait qu’elle se tienne sur la place publique, celle-ci a tourné en vrille. Les populations de Bargny s’y sont rendues pour crier haro sur ce projet. « Un 6e four est une catastrophe. Si ça passe, c’est la fin de toute vie à Bargny », dramatise Oumar Mbengue, membre du collectif « Bagny dit non » qui a pris part à cette réunion. Selon lui, il s’agit là d’une question de santé publique que l’Etat du Sénégal gagnerait à régler dans les plus brefs délais. Du moins, précise-t-il, “s’il a encore à cœur la préservation de la santé et du cadre de vie de sa population”.
Dégradation continue de la qualité de l’air
En effet, l’heure est très grave ! Les résultats d’une étude, réalisée par le cabinet indépendant OTD Consult du Dr Ousmane Thioune avec l’appui de la Fondation Heinrich Böll sur la qualité de l’air à Bargny, et commandité par le Réseau des Associations pour la Protection de l’Environnement et la Nature (Rapen), donnent le tournis. D’après cette étude, les nuages de poussière qui émanent des turbines de production de la Sococim sont gorgés de PM10. Qu’est-ce que le PM10 ? Il s’agit d’une particule fine qui fait partie des deux catégories de particules les plus dangereuses. D’un diamètre inférieur à 10 micromètres (10 millièmes de millimètre), le PM10 et le PM2,5 (inférieur à 2,5 micromètres), en suspension dans l’air, pénètrent profondément dans les voies respiratoires, en raison de leur petite taille.
Elles provoquent de graves troubles respiratoires chroniques chez les sujets exposés : bronchite chronique, asthme, cancer du poumon, accident vasculaire cérébral (Avc), infarctus du myocarde ou encore problèmes placentaires. Des maladies qui ont fini de faire de Bargny leur terreau fertile. Encore plus renversant ! D’après une étude de la Commission européenne se basant sur des données d’une quinzaine d’années, ces particules fines dont il est difficile de chiffrer avec exactitude l’impact sanitaire qu’elles ont, seraient à l’origine de 42 000 morts en France et 386 000 en Europe.
« Les émissions de particules fines de la Sococim dépassent de 400% la norme sénégalaise »
Au Sénégal, l’Etat, visiblement beaucoup moins soucieux du danger, ne dispose d’aucune donnée scientifique pouvant mesurer l’ampleur des dégâts à Bargny. Cependant, d’après les chiffres avancés par Daouda Guèye, coordonnateur du Rapen qui cite l’étude du cabinet OTD, « la pollution qui émane de la Sococim dépasse de 400% la norme sénégalaise ».
En effet, une analyse de la qualité actuelle de l’air dans la zone réalisée dans le cadre de l’étude susmentionnée montre que « les concentrations de PM10 dépassent actuellement, partout dans la zone (de Bargny), la valeur limite fixée par la réglementation du Sénégal. Les dépassements sont de 193 à 540% par rapport aux normes sénégalaises. Ceci constitue un risque potentiel pour les populations qui vivent dans cet environnement. En effet, selon l’OMS, l’exposition à de fortes concentrations de petites particules (PM10 et PM2,5) est corrélée à une augmentation de la mortalité ou de la morbidité. Et même à de très faibles concentrations, la pollution par les petites particules a des effets sur la santé », notent les experts dans leur rapport.
Non sans préciser que : «même si les concentrations de gaz et de PM2.5 (quant à elles) restent pour l’essentiel inférieures à la norme, l’exposition fréquente et régulière constitue un risque sanitaire réel » comme le souligne d’ailleurs Greenpeace dans des études récentes réalisées en 2017. Elles montrent, en effet, que « même si les personnes sont exposées à des niveaux de concentration inférieurs aux seuils actuellement prescrits en Europe, les impacts sanitaires sont observés ».
Des chiffres et des commentaires que semblent corroborer la directrice du Centre National de Gestion de la Qualité de l’Air (CGQA), Aminata Mbow Diokhané, qui confiait au journal Le Monde en 2019 qu’à Dakar la concentration de particules fines est en moyenne cinq fois supérieure aux recommandations de l’OMS. Celles-ci sont fixées à un seuil de 10 ?g/m3 à l’année pour les particules de diamètre inférieur à 2,5 micromètres (PM2,5).
« Elles sont émises par le trafic et les industries fossiles. Ce sont les plus dangereuses car elles pénètrent profondément dans les poumons », a expliqué Mme Diokhané, dans Le Monde. Ces données ne concernent que le département de Dakar. Au moment où la capitale tousse avec cette concentration de particules fines, Bargny, où l’air est ‘’mille’’ fois plus pollué, est au bord de l’asphyxie. Jointe par Seneweb, Mme Diokhané signale qu’à ce jour le centre ne dispose pas de données sur la qualité de l’air à Bargny car n’ayant pas de dispositif de mesure dans la zone. En termes clairs, Sococim et les autres industries installées à Bargny disposent d’une liberté totale de polluer au nom d’un « pseudo développement » et au péril de plusieurs milliers de vies.
4,2 millions de décès prématurés par an dans le monde, provoqués par la pollution de l’air ambiant
D’après des chiffres de l’organisation mondiale de la santé (Oms), en 2019, 99 % de la population mondiale vivaient dans des endroits où les seuils préconisés dans les lignes directrices de l’OMS relatives à la qualité de l’air n’étaient pas respectés. Les décès prématurés, provoqués par la pollution de l’air ambiant (extérieur) dans les villes et les zones rurales de par le monde, sont estimés par l’Oms en 2016, à 4,2 millions par an.
91 % de ces décès prématurés sont survenus dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Même si ce sont les Régions OMS de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental qui sont les plus touchées, la dégradation de la qualité de l’air en Afrique, au Sénégal et à Bargny en particulier, est non-négligeable. D’ailleurs une étude du Health Effects Institute (HEI) de Boston, rapportée ce vendredi 28 octobre 2022 par l’Agence France presse (Afp), indique que la pollution de l’air, un tueur silencieux, serait le deuxième facteur de risque de décès en Afrique.
« Plan Climat » de la Sococim, « une blague de mauvais goût »
« L’atmosphère de Bargny fait partie de celles les plus polluées du Sénégal à cause des reflux toxiques de la cimenterie ; particulièrement les particules fines et les tirs de mine », signale Daouda Guèye. Ajouter un 6ème four et lui coller le qualificatif de « Plan climat » est, selon lui, une insulte à leur intelligence et une atteinte grave à la qualité de l’air et à la vie des Bargnois. Pour s’en convaincre, Seneweb a fait un tour dans les carrières exploitées par la Sococim à Bargny. Situées à quelques kilomètres du nouveau pôle urbain de Diamniadio, en plus de la dégradation des sols et de l’air depuis 1948, ces carrières menacent toutes constructions à proximité. Même le pôle urbain n’est pas épargné.
Sococim, pour sa part, n’entend pas reculer et empile les arguments. « Plan climat : des grands projets industriels modernes pour réduire l’empreinte carbone du ciment. La première cimenterie du Sénégal, déploie le projet industriel et environnemental le plus ambitieux de la sous-région. (…) Ce projet intervient après la mise en service, en début d’année, d’équipements permettant une baisse des consommations d’énergie de 25% », commente-t-elle parlant de sa montée en puissance.
Pour les populations, qui sont foncièrement contre le projet contrairement à ce que dit le communiqué ci-dessus, la « décarbonisation » que la Sococim veut leur vendre n’est que de la poudre aux yeux. Cette montée en puissance combinée aux émissions nettes annuelles de gaz à effet de serre (GES) de la centrale à charbon estimées à 964.554 tonnes d’équivalent CO2, soit 27 % des émissions totales de GES du Sénégal en 1995, auront un effet nocif sur leur vie. Et avec les nouveaux projets hyper-polluants (Tosyali, port minéralier et vraquier), le chrono de cette fin proche est déjà enclenché. Tic, tac… !