Viktor Bout : Comme l’ont confirmé Joe Biden et Moscou, les États-Unis et le Russie se sont accordés sur un échange de prisonnier entre la basketteuse et l’un des plus importants trafiquants d’armes de la planète.
RUSSIE – C’est la fin d’un feuilleton géopolitique et judiciaire de près d’un an, et tout se termine avec un échange entre une star du basket et un criminel international qui a inspiré Hollywood. Ce jeudi 8 décembre, Joe Biden et Moscou ont annoncé que la basketteuse Brittney Griner, détenue en Russie depuis le 17 février dernier, avait été échangée aux Émirats arabes unis contre Viktor Bout, un célèbre marchand d’armes moustachu qui a engendré le Lord of War joué par Nicolas Cage au cinéma.
Condamnée durant le mois d’août à 9 ans de prison dans une affaire très controversée de « trafic de drogues », Brittney Griner ne va donc jamais purger cette peine dans son intégralité. Au contraire, elle sera très prochainement aux États-Unis après la conclusion de l’échange de prisonniers.
Et face à elle dans le deal conclu par la Russie et Washington D.C., on retrouve donc Viktor Bout, un homme bien connu sur la scène internationale, et surtout un prisonnier tout sauf lambda que la Russie cherchait à rapatrier depuis plus d’une décennie.
Le vrai « Lord of War »
Derrière l’homme qui aura permis de faire revenir aux États-Unis Brittney Griner se cache en effet un marchand d’armes russe de 55 ans à la moustache saillante. Arrêté en 2008 en Thaïlande puis emprisonné en 2011 par les États-Unis pour quatre chefs d’accusation, dont trafic d’armes et complot en vue de tuer des citoyens américains, Viktor Bout est redouté autant qu’il fascine.
Qualifié de « l’un des marchands d’armes les plus prolifiques au monde » par le procureur général Eric Holder lors de son procès, il a également hérité d’un autre surnom, comme le mentionne le New York Times : « le marchand de la mort ».
Notamment du fait de sa capacité à filer entre les mains des autorités durant de nombreuses années, les surnoms ne manquent d’ailleurs pas pour qualifier cet homme mystérieux dont même les origines sont floues. Selon les biographies, il serait né en 1967 à Douchanbé, dans l’actuelle capitale du Tadjikistan. Après un passage à l’Institut militaire des langues étrangères de Moscou, dans lequel il apprend entre autres à parler de nombreuses langues, il devient à l’âge de 24 ans et suite à la chute de l’URSS, un trafiquant d’arme habile et polyglotte.
Nicolas Cage, dans le rôle de Yuri Orlov dans le film « Lord of War », adapté -en partie- de la vie de traficant d’armes de Viktor Bout.
Des aspects de sa vie que l’on retrouve partiellement dans le film Lord of War, sorti en 2005 et dans lequel le personnage incarné par Nicolas Cage (Yuri Orlov) présente un trafiquant d’armes d’origine ukrainienne, proche de l’image renvoyée par Viktor Bout durant ses années d’activité. Même si dans ce film d’Andrew Niccol (célèbre pour avoir réalisé Bienvenue à Gattaca et écrit le scénario de The Truman Show), le personnage principal est aussi composé à partir d’autres trafiquants d’armes célèbres.
« Le briseur de sanctions »
Dans son métier, Viktor Bout est célèbre pour avoir vendu un large panel d’armes issu des stocks abandonnés par l’armée soviétique après la chute de l’URSS. Des équipements revendus à travers le monde, grâce notamment à des avions de la flotte aérienne soviétique qui servaient de moyens de transport à Viktor Bout.
Parmi ses principaux faits d’armes, on retrouve notamment la livraison illégale d’armes dans plusieurs zones de conflit et de guérilla durant les années 1990 et le début des années 2000 : Liberia, Rwanda, Angola, Sierra Leone ou encore Afghanistan, Sri Lanka et Colombie. Une réputation vite acquise et qui a poussé la CIA à s’intéresser au cas de Viktor Bout.
Capable de contourner n’importe quel embargo sur les armes, il a autant travaillé avec des groupes rebelles, des seigneurs de guerre africains qu’avec des États. Une capacité qui lui vaut un autre surnom : « briseur de sanctions ».
Devenant rapidement l’un des hommes les plus recherchés au monde, il a aussi profité de situations humanitaires urgentes pour faire du profit, comme lorsqu’il servit de support logistique à la livraison de matériel de l’ONU en Somalie en 1993. Préférant toujours les affaires à la politique, il a encore permis aux États-Unis d’obtenir des moyens de transport en Afghanistan jusqu’en 2005, fourni des armes aux talibans et collaboré pour le Programme alimentaire mondial, l’organisme d’aide alimentaire de l’ONU et de la FAO.
Un soldat italien des Nations Unies observe la « ligne verte » séparant le nord du sud de la capitale somalienne, dans le cadre du déploiement de l’opération « Restore Hope », pour laquelle Viktor Bout a été prestataire de services pour le transport d’hommes et de matériels de l’ONU.
Un soldat italien des Nations Unies observe la « ligne verte » séparant le nord du sud de la capitale somalienne, dans le cadre du déploiement de l’opération « Restore Hope », pour laquelle Viktor Bout a été prestataire de services pour le transport d’hommes et de matériels de l’ONU.
Un trafiquant à la botte du Kremlin ?
Arrêté en 2008 à Bangkok après une opération XXL de la DEA (Drug Enforcement Administration, la police anti-drogues aux États-Unis), il est finalement extradé vers les États-Unis, où il a été condamné à 25 ans de prison. Cela malgré deux années de brouille diplomatique avec la Russie, qui n’a jamais cessé de chercher à obtenir sa libération.
Or cet intérêt de la part de l’État russe loin d’être anodin, quand on connaît les nombreuses cordes à l’arc de Viktor Bout : maîtrise de plusieurs langues, connaissance pointue du commerce international d’armes et capacités inouïes pour passer sous les radars.
Son passage au sein de l’Institut militaire des langues étrangères de Moscou fait de lui un potentiel agent du GRU, le renseignement militaire soviétique. Selon Mark Galeotti, un expert des services de sécurité russes, cité par le New York Times, il y a des signaux forts qui peuvent laisser penser que Bout serait un agent, ou tout du moins un électron libre travaillant en étroite collaboration avec l’agence de renseignement russe.
« C’est aussi l’opinion des autorités américaines et cela explique les raisons pour lesquelles la Russie a fait si assidûment campagne pour le récupérer », ajoute ce maître de conférences sur la Russie et la criminalité transnationale à l’University College de Londres, toujours au Times. D’ailleurs, selon l’expert, « son cas est devenu totémique pour les services de renseignement russes, soucieux de montrer qu’ils n’abandonnent pas les leurs ». Une volonté qui a finalement pu s’exercer grâce à la pression mise sur Joe Biden par l’opinion publique américaine pour obtenir le rapatriement de Brittney Griner.