Entre 1902 et 1909, il mènera une rébellion dans le Maroc Oriental, profitant de la dissidence au Maroc et les faiblesses du Makhzen pour convaincre les Marocains. Se faisant passer pour le fils aîné de Moulay Hassan 1er, l’histoire de Bou Hmara ou celui ayant réussi à mener la vie dure à Moulay Abdelaziz.
Il est l’un des personnages les plus célèbres de l’empire chérifien. Son histoire, rapporté de génération à génération, n’a pas pourtant trouvé chemin vers les livres d’histoire. Né en 1860 au village d’Ouled Youssef dans le nord du massif de Zerhoun et exécuté le 2 septembre 1909, Jilali Ben Driss Zerhouni El Youssefi, alias Rogui Bou Hmara, a été sultan au nord du Maroc pendant 7 ans. Un règne durant lequel les Marocains de plusieurs contrés du nord croyaient qu’il était Moulay M’Hammed, frère de Moulay Abdelaziz.
Tout a commencé pour ce personnage après avoir décroché le prestigieux diplôme de fin d’étude de l’Université Al Qarawiyyin avant d’être embauché par le sultan Moulay Hassan 1er. «Il effectua d’abord un stage d’officier de l’armée et de cartographe qui était assuré à l’époque par la France», rapporte l’historien Omar Mounir dans son livre «Bou Hmara : l’homme à l’ânesse» (Editions Marsam, 2002). Avec la mort de Moulay Hassan 1er en 1894, le célèbre Vizir Ahmed Ben Moussa alias Ba Ahmed (1884-1908) intervient pour que le fils ainé, Moulay M’Hammed ne soit intronisé. Il choisit plutôt Moulay Abdelaziz. Ba Ahmed emprisonne aussi Jilali Ben Driss pour faux et usage de faux, comme le rapporte C. R. Pennell dans «Histoire du Maroc depuis 1830» (Morocco Since 1830 : A History, éditions C. Hurst & Co. Publishers, 2000).
Un ancien fonctionnaire du Makhzen devenu «sultan»
Seulement, Rogui Bou Hmara, appelé ainsi pour le fait qu’il se déplaçait souvent et transportait ses livres à dos d’ânesse, aurait «suffisamment appris» du temps passé à la Cour de Moulay Hassan 1er, «pour crédiblement imité Moulay M’Hammed dès sa sortie de prison». «Jilali était un imitateur et un magicien accompli», commente-t-il.
Libéré donc de prison, quelques années après, il se rendra d’abord en Algérie puis retourne à Fès en 1902, dans une ville en ébullition. «Un missionnaire britannique, David Cooper, avait été assassiné lorsqu’il semblait violer la tombe sacrée de Moulay Idriss II. Le tueur s’est réfugié dans le sanctuaire, mais Moulay Abdelaziz l’a piégé pour qu’il sorte avant de le faire assassiner», poursuit C. R. Pennell.
«Jilali (Rogui Bou Hmara) notera la fureur publique que cette traîtrise a inspirée avant de se rendre dans les montagnes et lancer sa révolte. Il se faisait d’abord passer par un homme de religion et comme beaucoup de supposés Mahdis dans le passé, il a parcouru la campagne sur le dos d’une ânesse avant d’obtenir l’appui de membres de tribus crédules.»
Jilali Ben Driss se faisait passer pour Moulay M’Hammed, fils aîné de Moulay Hassan 1er. / Ph. DRJilali Ben Driss se faisait passer pour Moulay M’Hammed, fils aîné de Moulay Hassan 1er.
Se faire passer pour Moulay M’Hammed pour régner
C. R. Pennell raconte aussi comment Bou Hmara en confiant à ses disciples son secrêt (frère de Moulay Abdelaziz), il comptait sur la diffusion de la rumeur. Plus tard, il s’autoproclamera sultan du royaume chérifien, soutenu par plusieurs tribus du Maroc oriental. «Iconoclaste, il outragea le pouvoir établi en mobilisant contre le régime les ressources financières et le matériel militaire. Bou Hmara fonda son siège à Kasba de Salouane, une mystérieuse forteresse crée par le sultan My Ismaïl en 1680», raconte Marco Hebdo dans un article datant de 2014.
Mais le sultan Moulay Abdelaziz ne prend toujours pas Bou Hmara au sérieux. Il mobilisera même Moulay Al Kabir, alors très jeune pour s’occuper de l’affaire, ce que le benjamin des fils de Moulay Hassan n’accomplira pas. Parallèlement, le rogui continue à conquérir la région orientale du Maroc, arrivant aux portes de Taza, qu’il occupe avec 15 000 cavaliers armés jusqu’aux dents. Il est désormais proclamé sultan par plusieurs tribus comme les Hayaïna, les Béni Ouaraïn, les Tsoul, les Branes et les Metalsa.
Moulay Abdelaziz
«Si le sultan continue vers Marrakech, Bou Hmara prendra Fès sans aucune difficulté, peut-être sans tirer un coup de feu. Des prières sont dites en son nom dans la mosquée de Taza», écrit le gouverneur de Taza à l’autorité centrale du Makhzen.
Moulay Abdelaziz sortira même de prison son frère Moulay M’Hammed, pour l’exhiber à l’opinion publique, sans que cela ne change les certitudes des adeptes de Bou Hmara. Le sultan chérifien décidera par la suite d’envoyer une armée contre le rogui, mais cette dernière enregistrera sa défaite la plus humiliante, contribuant ainsi à donner plus de légitimité à l’usurpateur de l’identité du fils aîné de Moulay Hassan 1er. «Se réclamant de la famille des alaouites, ses attaques contre la corruption, la désorganisation et l’irréligion du makhzen de Moulay Abdelaziz ont eu un impact puissant», commente C. R. Pennell.
Torturé puis exécuté par Moulay Abdelhafid à Fès
En janvier 1903, un nouveau ministre de la guerre est désigné sous Moulay Abdelaziz. El Mennebhi part à l’assault de l’armée de Bou Hmara, enregistrant ainsi une première victoire, puis une deuxième en mai avant de chasser le «pseudo Moulay M’Hammed» de Taza. Bou Hmara s’échapera à l’extrême nord-est pour se réinstaller à la Kasba de Selouane et «règnera encore pour six années».
Le 5 janvier 1908, battu par l’armée de son «autre» frère, Moulay Abdelhafid, Moulay Abdelaziz abdique. Le nouveau sultan est de plus en plus proche des autorités françaises. Celle-ci lui fournit l’aide nécessaire pour faire face à la dissidence.
L’armée de Jilali Ben Driss est alors battue par celle de Moulay Hafid qui venait de mettre fin à la révolte de Rissouni à Tanger. Celui qui prétendait être Moulay M’Hammed est alors capturé vivant avec 400 de ses disciples et transféré à Fès. Seules 160 personnes arriveront vivantes. En pleine capitale du royaume chérifien, Bou Hmara et ses soutiens seront torturés, décapités et exécutés sur les places publiques de la ville de Fès, bien que certaines versions de l’histoire démentent ces traitements inhumains.
Finalement, Bou Hmara est exécuté le 2 septembre 1909. Certains évoquant un «dépeçage en public» avant que sa dépouille ne soit «livrée aux fauves» et ensuite «incinérée à Bab Al Mahrouk». D’autres parlent simplement d’une «exécution par balle puis inhumation dans une fosse inconnue» à Fès.