Depuis quelques années, la culture hip-hop a conquis les rues de la capitale, pour devenir un véritable phénomène de société en Ouganda. De plus en plus de jeunes sont attirés par le breakdance, et s’affrontent dans la rue et en compétitions.
De notre correspondant à Kampala,
Il pleut sur Nsambya, un quartier populaire de Kampala. L’entraînement se déroulera donc dans le gymnase en briques rouges du Sharing Youth Center, un espace de formation professionnelle pour les jeunes. Alors que deux membres de l’association Breakdance Project Uganda (BPU) branchent la sono, d’autres nettoient la piste des détritus qui pourraient gêner les danseurs. Déjà des jeunes recrues improvisent des figures, tordent leurs corps et réalisent d’improbables figures d’équilibre. Ils sont plus d’une trentaine à se donner rendez-vous deux fois par semaine, pour apprendre les figures de base du breakdance, devenu un véritable phénomène de société en Ouganda.
Key Drichiru: «Avec le breakdance, j’avais la liberté d’être moi-même.» © RFI/Gaël Grilhot
Menue, fine et sportive, coupe afro impressionnante, Key s’échauffe avant de se lancer. A 26 ans, elle fait figure d’ancienne dans le groupe. « J’ai commencé le breakdance à 19 ans, explique-t-elle, je n’étais pas très bien dans ma peau, à ce moment-là et le hip-hop m’a aidée à me découvrir. Avec le breakdance, j’avais la liberté d’être moi-même, d’interagir avec n’importe qui, d’être dans un réseau, et de ne pas avoir de limite. » Key ne s’étonne guère du succès de la culture hip-hop en Ouganda, qui agit, selon elle, comme un exutoire pour affronter les difficultés du quotidien.
Poussé par une impressionnante pression démographique, l’Ouganda est aujourd’hui le second pays le plus jeune au monde, avec plus de 80% de sa population âgée de moins de 30 ans. La plupart d’entre eux sont touchés par le chômage et peinent à s’en sortir. Un terreau sur lequel ces musiques aux paroles souvent très radicales trouvent un auditoire. « Cela raconte leur vie de tous les jours, la galère, poursuit Key. A travers les événements organisés autour du breakdance, ils peuvent parfois exercer des compétences qu’ils ont apprises à l’école et qu’ils ne peuvent pas offrir ailleurs, faute de travail. »
Comme aux Etats-Unis, cette discipline est apparue dans les ghettos, les « slums » de Kampala. « Il y avait quelques breakdancers dans les années 1990, explique Sylvester, un jeune rappeur qui organise des événements autour de la culture hip-hop. Mais c’est surtout au cours des années 2000 que la scène ougandaise s’est construite, étape par étape. » Tout naturellement les « battles », des compétitions au cours desquelles les jeunes des quartiers pauvres s’affrontent en montrant leur maîtrise, ont enflammé peu à peu les rues des quartiers un peu plus aisés.
« Aujourd’hui, le breakdance est quelque chose d’énorme en Ouganda, explique Joramc, B-Boy et fondateur de BPU. A Kampala, nous avons tellement de breakers que je ne peux même pas les compter. Il y en a dans toutes les communautés, nous avons des gens qui viennent de tous les milieux. Le breakdance permet aux gens d’ouvrir leur esprit et de se connecter aux autres. Chaque jour, la scène grossit de plus en plus. »
Le mouvement a largement dépassé les frontières de la capitale. « Vous pouvez aller à Jinja, Sorroti, Mbale, Gulu, partout dans le pays, vous aurez du breaking », poursuit Joramc. Sylvester confirme cet engouement. « Lorsque je participe à des ateliers ou à des camps de breakdance en région, affirme-t-il, je m’aperçois que partout où nous allons, il y a des amateurs, dont certains sont très bons. Dans ces camps, nous invitons des DJ’s, des graffeurs, tous ceux qui comptent dans la culture hip-hop. » Les jeunes viennent s’y perfectionner et échanger avec les acteurs de la scène.
Le 12 août prochain, se dérouleront à Kampala les éliminatoires du Break-Fast JAM 2017 pour le centre du pays. Une compétition nationale de breakdance au succès croissant, dont la finale aura lieu cet hiver. Mais si le mouvement s’est peu à peu structuré, perdant peut-être un peu en spontanéité, l’esprit hip-hop demeure toujours aussi radical dans les quartiers populaires, jusqu’à troubler le jeu politique ougandais. Le 30 juin dernier, Bobi Wine, slameur qui a grandi dans les bidonvilles de Kampala, a été élu député à la surprise générale, balayant les poids lourds du parti au pouvoir et de l’opposition.