Des électeurs qui ont voté Hamon, Mélenchon ou Fillon au premier tour de la présidentielle expliquent pourquoi ils ont choisi de voter blanc ou de s’abstenir le 7 mai.
Au premier tour de la présidentielle, ils ont voté pour Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, François Fillon ou un plus petit candidat. Cette fois, ce sera blanc. Ou bien sans eux. Parce qu’entre la candidate du Front national (FN) et le leader d’En marche !, le choix est « impossible ». Parce qu’ils ont « assez donné avec le front républicain » et le « vote barrage » en 2002. Ou parce qu’ils refusent d’offrir « un bon score » à Emmanuel Macron, dont la victoire leur semble acquise.
Plus de 600 personnes ont répondu à un appel à témoignages du Monde sur leur choix pour le second tour de l’élection. Nombre d’entre elles ont assuré qu’elles voteraient Macron pour faire barrage au parti d’extrême droite, « sans hésiter » pour certaines, « à contrecœur » pour d’autres. Nombreuses, aussi, sont celles qui disent avoir fait le choix du vote blanc ou de l’abstention pour le 7 mai.
Ainsi de Jean-Philippe B., travailleur indépendant au Mans (Sarthe) qui, « pour la première fois de [sa] vie », n’ira pas voter au second tour de l’élection présidentielle. Ce n’est « pas la rancœur » qui le fait s’abstenir. Plutôt « la tristesse de passer à côté » du projet auquel il croit, celui du leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. « Comment porter sa voix vers un candidat dont le programme est d’un conservatisme le plus absolu ? », s’interroge alors le quinquagénaire en ciblant Emmanuel Macron. Et qu’on ne lui « secoue pas au nez l’épouvantail Le Pen ». « Avec ses 21 % », il estime qu’elle n’a « aucune chance d’être élue », et « ce d’autant plus qu’Emmanuel Macron a reçu le soutien de quasiment toute la France ».
Prof en lycée à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), Christophe M., 50 ans, boudera lui aussi les urnes pour la première fois, après avoir voté Benoît Hamon. Car il ne « vote pas pour éliminer mais seulement pour choisir un programme ». Or aucun ne le représente.
« Le choix impossible »
« Le choix est impossible », résume Quentin D., enseignant et chercheur de 27 ans, qui lui non plus ne peut « pas [s]e résoudre à donner sa voix à l’un ou à l’autre ». Car M. Macron lui paraît « extrêmement dangereux. (…) Le danger plus insidieux, bien poli, du néolibéralisme, mais un danger tout pareil ». « Impensable » également pour Jean-Pierre M., retraité à Lombron (Sarthe) qui avait donné sa voix à Philippe Poutou, de voter pour « la haine ou l’entretien du capitalisme ».
« Entre deux maux, je n’en choisis aucun », renchérit Laurence P., 54 ans, technicienne de laboratoire, faisant écho au slogan de 2002 – « ni peste ni choléra » – revenu dans plusieurs témoignages. Pour Anne-Marie W., 51 ans, formatrice dans les Vosges, « reporter » son vote sur M. Macron après avoir voté Benoît Hamon reviendrait à « renoncer à tous [s]es espoirs pour un monde plus juste dans le domaine écologique et social ». Ce sera donc blanc.
Blanc aussi pour Jean-Philippe C., 42 ans, géologue à Bourgoin-Jallieu (Isère), qui avait lui choisi François Fillon au premier tour. Il ne votera « certainement pas pour Marine Le Pen et son programme de repli », mais ne se résout pas non plus à voter Emmanuel Macron, « auquel [il] prédit des lendemains difficiles, sans majorité évidente pour mener à bien un programme [dans] la continuité de la politique de François Hollande ».
« Faire le choix entre enrichir toujours plus les gens déjà riches et laisser mourir des gens en Méditerranée est beaucoup trop dur pour quelqu’un comme moi de 19 ans », explique, de son côté, Chadi Y., étudiant en géographie à Poitiers (Vienne), qui a décidé de voter blanc « pour montrer [s]on dégoût de la société ». Entre « l’ultralibéralisme et l’extrême droite », même refus de participer à un choix qu’il juge « lamentable » et « d’avoir à choisir entre deux avenirs qui ne [lui] plaisent pas » pour Matthieu L., 23 ans. Son engagement passera « désormais exclusivement par la rue », dit-il.
Outre l’impossibilité de choisir, il y a aussi ceux qui refusent de continuer à « se soumettre au vote utile ». Emmanuelle D., 39 ans, a déjà donné en 2002, 2007 et 2012. Alors le 7 mai, elle s’abstiendra pour la première fois. Même refus pour Eve L., enseignante et écrivaine de 30 ans, dont « le vote de raison » n’est « pas [s]a conception de l’élection présidentielle ». Pas question que sa « culpabilité démocratique soit prise pour un nouveau chèque en blanc ». « Ce sera la sixième fois que je me rends aux urnes en huit mois, et j’estime, quoi qu’en disent les politologues et les commentateurs de tous bords, que ma voix mérite mieux qu’une nouvelle déception », explique-t-elle.
« Voter sans conviction n’est pas une option » non plus pour Nicolas C., 26 ans, cadre en Seine-et-Marne, qui avait voté pour M. Fillon au premier tour et n’aura « aucun scrupule à ne pas aller voter » au second : « A l’image de toute la campagne, le débat n’existe pas (…) Le show continue, moi, je zappe. »
Assez du « front républicain »
Il y a aussi tout ceux qui n’ont « pas digéré » leur vote pour Jacques Chirac au second tour de la présidentielle de 2002 pour éliminer Jean-Marie Le Pen. Quinze ans plus tard, et « à l’heure de la gueule de bois », Franck L., 45 ans, pense donc voter blanc, après avoir voté Hamon. Car le musicien et compositeur à Agen aurait bien du mal à voter pour ce qu’il estime être « un produit commercial fiduciaire qui encourage l’évasion fiscale, la poursuite du nucléaire et du diesel, qui veut détricoter les acquis sociaux, être le bon petit soldat de la rigueur voulue par [Angela] Merkel [la chancelière allemande]… ».
« Le front républicain », Marie-Claude S., 63 ans, cheffe de projet informatique retraitée à Orléans, a elle aussi « déjà donné ». Et ne recommencera pas. « Impossible » pour elle de voter FN et « tout autant » pour Macron, dont elle n’aime « ni son programme ultralibéral ni son personnage de télévangéliste exalté ». Après Jean-Luc Mélenchon, ce sera donc blanc ou abstention.
« Désolé mais j’ai marché dedans en 2002. Je ne remarcherai pas en 2017 », s’excuse aussi Olivier A., ingénieur informatique en banlieue toulousaine qui « refuse de se laisser prendre en otage », tout comme il en a « marre de culpabiliser ». Assez du « chantage du vote contre », abonde Jan D., 28 ans, analyste à Montréal, qui détaille les nombreuses raisons motivant son abstention. Entre autres, il estime que « voter blanc, c’est continuer de reconnaître la légitimité d’un système électoral injuste » et que « voter contre c’est perpétuer la politique qui est responsable de la montée du FN depuis 2002. (…) C’est faire gagner Le Pen dans cinq ans ».
Priver Emmanuel Macron de légitimité
D’autres expliquent leur choix de voter blanc ou de s’abstenir par leur refus d’offrir un « blanc-seing » au leader d’En marche !, dont ils estiment la victoire « acquise ». Après avoir voté M. Mélenchon, Thomas votera blanc car il ne « veu[t] pas que Macron ait une véritable légitimité » et souhaite « faire en sorte qu’il ne gagne que d’une faible majorité (60 % maximum) pour bien faire passer le message qu’une grande partie de l’électorat n’est pas dupe ». Même souhait pour Emmanuel P., 37 ans, cadre en région parisienne, qui a donné sa voix à François Fillon et souhaite voir Emmanuel Macron gagner, « mais qu’une abstention forte le fragilise d’emblée ».
Dans dix jours, Gilles D., 46 ans, qui travaille dans la sociologie de la santé, tiendra pour sa part « la même ligne directrice » qu’en 2002, où il était « certain que Le Pen père allait largement perdre » et avait ainsi refusé d’offrir à Jacques Chirac « un score de république bananière ».
Pour certains électeurs qui choisiront le vote blanc ou l’abstention, la bataille ne se joue plus au second tour de la présidentielle, mais plutôt à l’heure des législatives. Jardinier dans la campagne rennaise, en Ille-et-Vilaine, Alexis L., 31 ans, trouve ainsi que l’on fait « beaucoup trop de foin pour la présidentielle, alors qu’on va revenir à plus de 30 % d’abstention pour les législatives », un scrutin pourtant « bien plus important » à ses yeux.
Au premier tour, il a voté Jean-Luc Mélenchon, cette fois, ce sera blanc. « La politique déconnectée des hauts étages du gouvernement », lui n’y croit plus. « Le changement, c’est au quotidien dans la rue pour certains, dans les champs pour moi, mais pas en glissant un bulletin utile tous les cinq ans. »
lemonde.fr