Trois semaines après les attentats contre la minorité copte du pays, le chef de l’Eglise catholique va au Caire, vendredi et samedi, en « ami, messager de la paix et pèlerin ».
Soutenir les chrétiens d’Orient sans porter préjudice au dialogue avec les musulmans – l’arme qu’il a choisie pour faire face à l’islam radical – ni froisser le régime égyptien : tel est l’objectif multiple du pape François lors de la visite qu’il doit effectuer au Caire, vendredi 28 et samedi 29 avril. Dans le message vidéo qu’il a diffusé à l’intention des Egyptiens, avant sa venue, le chef de l’Eglise catholique se présente en « ami, messager de la paix et pèlerin » dans un pays « où Dieu, clément et miséricordieux, le Tout-Puissant et l’Unique, a fait entendre sa voix », adjectifs choisis parce qu’ils parlent directement aux croyants musulmans. Ce voyage intervient trois semaines après les attentats anti-coptes, revendiqués par l’organisation Etat islamique (EI), qui ont fait 46 morts le 9 avril dans deux églises d’Alexandrie et de Tanta, en pleine célébration de la fête des Rameaux. En compagnie du patriarche de l’Eglise copte Théodore II, qu’il avait reçu à Rome en mai 2013, le pontife argentin devait se rendre, vendredi, à l’église Saint-Pierre, cible d’un autre attentat revendiqué par l’EI, lors d’une messe le 11 décembre 2016, qui a tué 29 personnes. Ils y prieront « pour toutes les victimes des années et des mois passés, pour les chrétiens tués », a indiqué le porte-parole du Vatican, Greg Burke, lundi. Souvenirs difficiles Les coptes, dont une toute petite minorité (environ 250 000 personnes sur 8 à 10 millions) est catholique, sont la principale composante chrétienne du Proche-Orient. A travers eux, c’est à toutes ces communautés chrétiennes que le pape s’adressera, faute d’avoir pu encore se rendre en Irak, comme il avait espéré pouvoir le faire en 2014. « Je voudrais que cette visite soit une accolade de consolation et d’encouragement pour tous les chrétiens du Moyen-Orient ; un message d’amitié et d’estime pour tous les habitants de l’Egypte et de la région ; un message de fraternité et de réconciliation pour tous les fils d’Abraham, particulièrement pour le monde islamique », résume le pontife argentin dans sa vidéo. Pour le Saint-Siège, le soutien aux coptes ravive des souvenirs difficiles. En 2011, Benoît XVI avait déclenché la colère du gouvernement égyptien en appelant ce dernier à protéger spécifiquement les chrétiens après un attentat contre une église d’Alexandrie. Le Caire avait peu apprécié de se faire donner une leçon et avait rappelé son ambassadeur au Vatican. Cet épisode avait réactivé la crise avec le monde musulman intervenue cinq ans auparavant, lorsque le pape allemand avait semblé établir un lien entre islam et violence dans un discours prononcé à l’université de Ratisbonne, en Allemagne, en septembre 2006. Lors de l’épisode de 2011, l’université Al-Azhar avait gelé ses relations avec le Vatican. Depuis, les rapports entre le Saint-Siège et cette institution importante de l’islam sunnite, visitée par Jean Paul II en 2000 lors de l’unique voyage d’un pape en Egypte jusqu’à présent, a bien changé. Sous la pression des crises dans le monde musulman, mais aussi sans doute par inclination personnelle, François a rompu avec la méfiance de Benoît XVI pour le dialogue interreligieux et il a fait d’Al-Azhar l’un de ses interlocuteurs privilégiés. Ahmed Al-Tayeb, le grand imam d’Al-Azhar, avait organisé, en 2014, une conférence internationale, remarquée à Rome, pour « combattre l’extrémisme et le terrorisme ». Le véritable dégel a eu lieu en mai 2016, lorsqu’il avait rendu visite au pape François. La reprise des relations entre les deux institutions religieuses a été scellée les 22 et 23 février, lorsque le cardinal Jean-Louis Tauran, responsable du dialogue interreligieux au Vatican, a participé au Caire à un séminaire commun sur « le rôle d’Al-Azhar et du Vatican pour contrer le fanatisme, l’extrémisme et la violence ». Quelques jours plus tard, l’université musulmane organisait une conférence internationale rassemblant musulmans et chrétiens venus notamment de tout le monde arabe sur le thème « liberté et citoyenneté, diversité et complémentarité ». Appel aux leaders religieux et universitaires L’imam Al-Tayeb y avait dénoncé comme anachronique la notion de « dhimmitude », base d’une inégalité civique entre musulmans et non-musulmans. « Tous les citoyens sont égaux et les chrétiens ne peuvent être considérés comme une minorité, un terme chargé de connotations négatives », avait-il alors affirmé. Cette fois, François en personne prendra la parole à la « conférence internationale sur la paix » organisée par Al-Azhar, vendredi. Y participent des représentants de diverses confessions qui, la veille, auront discuté des « obstacles à la paix » et de « la mauvaise interprétation des textes religieux et son impact sur la paix mondiale ». « Notre monde, déchiré par la violence aveugle (…) a besoin d’artisans de paix, ainsi que de personnes libres et libératrices », a affirmé le pape dans son message vidéo. En visite en Turquie, en 2014, François a raconté avoir dit au président Recep Tayyip Erdogan : « Ce serait beau que tous les leaders musulmans, qu’ils soient politiques, religieux ou universitaires, parlent clairement et condamnent les actes » de terrorisme. Le rencontre d’Al-Azhar s’inscrit dans cet appel aux leaders religieux et universitaires. « Aujourd’hui, il faut trouver plusieurs voies pour le dialogue interreligieux, affirme Philippe Bordeyne, le recteur de l’Institut catholique de Paris, qui a signé, en mai 2016, une convention avec l’université d’Al-Azhar organisant une coopération entre leurs facultés de lettres et qui participe à la conférence. Le contexte académique permet de faire avancer les choses. Nous permettons à des collègues d’Al-Azhar de poursuivre leur chemin, qui peut être compliqué. »
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