L’Apple Car est sortie de route. En dépit d’années de travail, d’embauches et de brevets à tour de bras, Apple a tiré un trait sur le projet Titan. Depuis son lancement en 2014, le projet de voiture électrique autonome du groupe a connu une foule de changements et traversé une série d’embûches… À l’occasion de sa mort prématurée, on revient sur l’histoire mouvementée de l’Apple Car.
La genèse du projet Apple Car
Les premières traces du projet remontent à 2015. Cette année-là, une mystérieuse camionnette surmontée d’un étonnant appareil blanc est aperçue dans les rues de Concord, une petite ville de Californie. Bien vite, des médias découvrent que la camionnette avait été louée par une entreprise bien connue, Apple. Il s’est aussi avéré que la camionnette n’était pas un véhicule ordinaire, qui aurait simplement été utilisé à des fins de cartographie. Il s’agissait en fait d’une voiture autonome, la Dodge Caravan. Un expert révélait en effet que le véhicule embarquait beaucoup trop de capteurs pour être uniquement destiné à de la cartographie.
À cette époque, le marché de la voiture électrique est encore naissant, bien que marqué par une augmentation significative des ventes. Le secteur est dominé par des entreprises comme Tesla, Nissan et Chevrolet, mais le coût encore élevé des voitures électriques et une infrastructure de recharge encore insuffisante effrayent les potentiels acheteurs. Durant cette période, les véhicules autonomes commençaient également à faire parler d’eux. Les géants de la tech, dont Google, étaient persuadés qu’il s’agissait du futur et ont multiplié les investissements en ce sens.
Dans ce contexte, et à la suite de l’apparition de la mystérieuse Dodge, les rumeurs se sont accélérées. Plusieurs médias réputés, comme le Wall Street Journal et le Financial Times, ont enquêté et levé le voile sur une partie des recherches menées par Apple dans le secret de ses laboratoires. Apparemment, le projet a vu le jour en 2014 dans les locaux d’Apple. Cette année-là, Tim Cook a officiellement approuvé l’initiative, avec en ligne de mire une production quatre ans plus tard, en 2020. En interne, le programme de développement d’une voiture électrique était évoqué sous le nom de projet Titan.
L’ambition originale d’Apple : une voiture électrique et 100 % autonome
D’après les fuites, Apple ambitionnait de venir marcher sur les plates-bandes de Tesla avec une voiture électrique dotée de capacités de conduite autonome. Dès 2015, un employé d’Apple déclarait d’ailleurs, sous couvert d’anonymat, que le géant de Cupertino allait « changer le paysage » de la voiture électrique et « donner du fil à retordre à Tesla ».
Au fil des ans, les recherches Apple se sont articulées autour de deux grandes possibilités pour la voiture électrique. La première option envisagée, très ambitieuse, consistait à concevoir une voiture 100 % autonome complètement dépourvue des commandes habituelles, à savoir le volant ou les pédales de frein. Cette voiture n’était pas conçue pour être pilotée par un être humain. Elle devait pouvoir se déplacer d’un point A à un point B sans la moindre action du conducteur. De facto, les quatre sièges étaient disposés vers l’intérieur afin de faciliter les échanges et les conversations.
De la même manière que Tesla, Apple a imaginé des technologies destinées à divertir l’automobiliste durant les trajets. Certains brevets détaillent l’intégration d’un système de réalité virtuelle et augmentée, directement intégré dans le pare-brise. Faisant office d’écran, celui-ci pourrait afficher des éléments en superposition sur la route, ou devenir opaque pour projeter des contenus.
Pour que le projet voit le jour, Apple s’est attelé au développement d’une technologie de conduite autonome, reposant sur une quantité astronomique de capteurs LIDAR, similaires à ceux intégrés aux iPhone et iPad. Le Lidar est en effet capable de cartographier un environnement en trois dimensions en mesurant le temps que prend la lumière pour effectuer un aller-retour vers un objet. Cette technologie, née dans les années 1960, est déjà utilisée pour des fouilles archéologiques et les radars routiers. Dans le cadre de cette approche, Apple rêvait de venir faire de l’ombre à Waymo, le taxi autonome de Google. L’initiative a été brièvement supervisée par Jony Ives, le chef du design d’Apple, qui a quitté la firme en 2019. Celui-ci rêvait d’une Apple Car 100 % autonome et contrôlée à la voix grâce à l’assistant vocal Siri.
Les ingénieurs d’Apple ont également planché sur une alternative moins ambitieuse, plus proche de l’expérience offerte actuellement par Tesla. La firme envisageait en effet de concevoir une voiture électrique semi-autonome, avec un volant et des pédales de frein. Cette approche plus classique permettait à Apple d’accélérer la conception sans se heurter aux autorités, frileuses à l’idée d’approuver une voiture sans aucun élément destiné au pilotage manuel.
Des ambitions revues à la baisse
Finalement, le groupe a préféré se concentrer sur la création d’une voiture semi-autonome en 2022, un plan jugé plus réaliste. Cette version devait uniquement pouvoir se déplacer seule sur autoroute. En dehors de ce cas de figure, c’est le conducteur qui devait prendre le relais. Cette année-là, tous les plans concernant l’étonnante voiture sans volant ont été effacés. Deux ans plus tard, Apple a encore revu ses ambitions à la baisse. Le système de conduite autonome intégré devait se résumer à des fonctionnalités d’aide à la conduite. La voiture devait être capable de freiner, d’accélérer et de tourner le volant. Le conducteur devait impérativement garder les mains sur le volant. En réduisant considérablement ses projets, Apple espérait commercialiser la voiture avant 2030, au risque finalement qu’elle ressemble à un véhicule très classique.
Durant ces années, Apple ne s’est pas contenté d’imaginer une voiture électrique encore plus futuriste que les Tesla. La firme californienne a été jusqu’à préparer la production du véhicule. Dans cette optique, le groupe s’est rapproché de plusieurs géants de l’industrie automobile, tels que Hyundai, Nissan, Honda, BMW et Mazda.
Pourquoi Apple a fait marche arrière
Comment est on passé d’un projet titanesque et de milliers d’heures de travail à un abandon progressif ? Pour comprendre ce qui s’est passé au cours des deux dernières années, il faut analyser les autres projets de la marque à la pomme.
Tout d’abord, Apple préfèrerait se concentrer sur d’autres initiatives, à commencer par l’IA générative. Selon les informations de Mark Gurman, journaliste chez Bloomberg, les 2000 employés chargés de mettre au point le projet Titan vont d’ailleurs rejoindre l’équipe dédiée au développement de l’intelligence artificielle. Les dernières fuites indiquent en effet qu’Apple va mettre le paquet sur l’IA en l’intégrant à ses produits, à commencer par l’iPhone par le biais d’iOS 18.
Par ailleurs, l’histoire de l’Apple Car a été marquée par une série de défections et de problèmes internes. Dès 2016, Steve Zadesky, l’homme qui chapeautait l’initiative, a en effet préféré quitter le navire. Il a été rapidement remplacé par Bob Mansfield, ancien vice-président de la technologie du groupe, sorti de sa retraite pour coordonner l’initiative. Sous son contrôle, les équipes consacrées à l’Apple Car se sont concentrées sur la création d’un système de conduite autonome, au détriment d’une voiture partiellement autonome. Quatre ans plus tard, Bob Mansfield a rendu les armes. L’Apple Car a alors été confiée à John Giannandrea, responsable de l’intelligence artificielle chez Apple, épaulé par Doug Field, un cadre qui a rapidement démissionné pour rejoindre Ford. En 2021, Giannandrea a donc été rejoint par Kevin Lynch, vice-président chargé de la division Apple Watch. Tous ces dirigeants avaient des visions différentes de ce que devait être l’Apple Car. C’est pourquoi l’initiative s’est vite retrouvée morcelée autour de points de vues opposés.
Il se murmure que Titan n’a jamais vraiment convaincu les grands pontes de l’entreprise, à savoir le PDG Tim Cook et Craig Federighi, le responsable de l’ingénierie logicielle. Les bruits de couloir laissent penser que les deux dirigeants n’ont jamais réellement cru à la viabilité du projet. Selon le New York Times, Tim Cook aurait approuvé le programme en partie pour éviter que ses ingénieurs ne démissionnent pour rejoindre Tesla. D’ailleurs, le PDG ne visitait que rarement le campus secret consacré à l’Apple Car.
Quel avenir pour Apple dans l’automobile ?
Suite à la dissolution des équipes allouées à l’Apple Car, Apple n’ambitionne plus de se lancer sur le marché de l’automobile électrique. Néanmoins, l’entreprise peut toujours se faire une place de choix dans la vie des automobilistes à l’aide de CarPlay.
Grâce au système d’exploitation pour automobile, qui permet de relier un iPhone à une voiture, Apple s’est imposé dans plus de 600 modèles disponibles sur le marché. De nombreux constructeurs ont adopté le système d’exploitation, né en 2014, au fil des ans. Sans conduite autonome et sans voiture de son cru, Apple doit se reposer sur son expertise en matière de logiciel pour se faire une place aux côtés des conducteurs.
Du reste, il est tout à fait possible que le projet Titan finisse par renaître de ses cendres dans les années à venir. Ce n’est en tout cas pas la priorité des équipes de Tim Cook pour le moment. La perspective d’une Apple Car sur les routes avant 2030 est bel est bien partie en fumée…