Sénégal : Benoît Fader Keita, de son nom d’artiste Beni Fadi, chante dans sa langue maternelle, le mënik, menacé d’extinction. En octobre, il sortait un mini-album Farkoko dans lequel se mélangent sonorités traditionnelles et musique électro.
C’est depuis son champ, à Bandafassi, à plus de 700 kilomètres au sud-est de Dakar, que Benoit Fader Keita – de son nom d’artiste Beni Fadi – nous accorde une interview au téléphone. Très attaché à sa région située à quelques kilomètres de la Guinée Conakry, le musicien de 37 ans est retourné dans son village d’origine pour la récolte à la fin de la saison des pluies.
Le reste de l’année, le jeune homme est concentré sur son projet de musique électronique : composer et chanter pour sauver sa langue, le mënik, menacé d’extinction. Il a d’ailleurs sorti son premier EP de trois titres appelé Farkoko (qui veut dire « caméléon ») le 7 octobre dernier, produit en collaboration avec le collectif panafricain ElectrAfrique et le collectif berlinois Rise. « Je suis issu de l’ethnie Bédik qui est très mal connue, même au Sénégal », s’inquiète Beni Fadi. Seuls quelques milliers de personnes continuent de parler sa langue maternelle, considérée comme l’une des près de 2 500 langues en danger dans le monde selon l’UNESCO.
Selon la tradition orale, le peuple Bédik – très animiste – a quitté le Mali pour fuir l’islam et conserver sa culture. Ils se sont alors réfugiés au XIIe siècle dans les grottes et les rochers des montagnes de Bandafassi, où se trouvent encore aujourd’hui quelques villages où se déroulent les cérémonies traditionnelles « avec des sacrifices, des chants, des danses, de la bière de mil et du vin de palme », raconte Benoît Fader Keita.
Après avoir eu le baccalauréat à Kédougou, le jeune homme suit une licence d’anglais à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, où il se rend compte avec surprise que personne ne connaît sa langue ou sa culture. « J’ai donc voulu m’exprimer pour les faire connaître à tous les Sénégalais », explique l’artiste. Il se lance alors dans une école d’audiovisuel qui le mène à un poste de vidéaste dans une télévision privée sénégalaise, la DTV. Il arrive à y réaliser un documentaire sur son village. Mais il veut pousser la démarche plus loin en étant « plus universel. »
En 2018, il décide alors de se tourner vers la musique, où il mélange des mélodies chantées dans sa langue avec de la musique moderne, comme de l’afrobeat, de l’afro-house ou du reggae. « J’essayais de voir ce qui était à la mode parce que mon but était d’abord d’avoir une audience. Même si les gens ne comprennent pas ce que je dis, le beat et l’instrumental vont capter l’attention du public », explique celui qui a diffusé une dizaine de morceaux autoproduits sur ses réseaux sociaux.
Les paroles des titres reprennent les chants entonnés en rentrant des travaux aux champs ou des extraits de contes que sa grand-mère lui racontait le soir au coin du feu. « Face aux nouvelles technologies, comme la télévision et le téléphone, je me bats pour que survivent nos histoires et nos traditions orales », assure l’artiste, qui a fait un premier concert en 2019 à Bandafassi pour partager son travail avec sa communauté.
En 2020, il se fait repérer par hasard dans son village par Cortega, directeur artistique et cofondateur du collectif ElectrAfrique. « Sa démarche m’a touché. Il méritait d’être connu davantage. J’ai bien aimé qu’il expérimente différents styles musicaux. Il a les capacités de s’adapter à des esthétiques différentes », témoigne le DJ, pour qui le fait qu’il chante dans sa langue maternelle est un point fort pour intégrer le collectif ElectrAfrique, qui rassemble des DJs de l’Afrique et de la diaspora depuis dix ans.
Beni Fadi glisse donc de plus en plus vers la musique électronique, en travaillant sur un EP pour faire des sons originaux, financés par le Goethe Institute, en collaboration avec les collectifs ElectrAfrique et Rise. « À Bandafassi, nous avons enregistré les clochettes, les tambours et les instruments traditionnels bédiks pour les faire fusionner avec la musique électro », se souvient Beni Fadi, qui a d’abord présenté les trois titres à Dakar et à Bandafassi avant de faire une petite tournée en Europe. « À Dakar, j’étais accompagné sur scène par des danseuses Bédik qui étaient habillées avec les costumes et coiffes traditionnelles », raconte fièrement Beni Fadi.
Pour la suite, le musicien espère porter son projet le plus loin possible pour faire perdurer sa langue et sa culture en l’adaptant au monde moderne. Il espère aussi qu’un jour les écoles de son village feront des cours en mënik et qu’un forage sera creusé pour amener l’eau en haut de la montagne, afin que les populations ne s’exilent plus, ailleurs dans le pays où elles perdent leur langue et leurs traditions en se mêlant au reste de la population sénégalaise. « Je ne veux pas être témoin de leur disparition », martèle-t-il.