Quatre anciens rebelles, revenus à la vie civile en 2011 après la victoire d’Alassane Ouattara à la présidentielle, ont été tués par les forces de l’ordre lors d’affrontements.« Aujourd’hui, ça a tellement dégénéré… » Amadou Ouattara marque un silence au bout du fil. Depuis Bouaké, sa stupeur laisse vite place à la colère. « Nous n’étions pas armés, nous voulions juste nous faire entendre ! », répète le porte-parole adjoint du mouvement des « démobilisés », ces anciens rebelles qui réclament le paiement de primes au gouvernement ivoirien.
Un affrontement, mardi 23 mai, entre ces manifestants et les forces de sécurité a tourné au drame dans la deuxième ville de Côte d’Ivoire. Selon une source hospitalière requérant l’anonymat, quatre démobilisés ont été tués. Une quinzaine de blessés, dont plusieurs grièvement atteints, ont été admis au Centre hospitalier universitaire de Bouaké.
Six mille anciens rebelles
Depuis la veille, ces ex-combattants qui avaient soutenu Alassane Ouattara pour qu’il accède au pouvoir en 2011 face à son rival Laurent Gbagbo, bloquaient l’entrée sud de la ville. La file de camions de transports de marchandises et de bus de voyageurs s’allongeait sur le bitume. « C’était notre seul moyen pour faire bouger les choses », insiste le responsable. Dans la ville de Korhogo, l’entrée nord est également bloquée par des « démobilisés » en colère.
Ce mouvement, représentant environ 6 000 ex-rebelles qui n’ont pas été intégrés dans l’armée mais sont retournés à la vie civile, tente alors de reproduire la stratégie menée avec succès une semaine plus tôt par d’autres ex-rebelles devenus soldats, quant à eux. Après quatre jours de blocage des entrées de Bouaké, les mutins armés étaient parvenus à faire plier le gouvernement qui a accepté de verser 7 millions de francs CFA (environ 10 000 euros) à chaque soldat, après un premier versement de 5 millions en janvier. Les démobilisés réclament pour leur part 18 millions de francs CFA : « 12 millions qui ont été promis en échange de se battre en 2010-2011 pour Alassane Ouattara, et 6 millions d’arriérés de salaires liés à la reconnaissance de notre garde de caporal », précise Amadou Ouattara.
« Des rafales de kalachnikovs et une grenade »
Mais à l’aube, au corridor sud, quelques dizaines de gendarmes et de policiers ont pris position face aux manifestants. « J’ai été les voir pour leur demander pourquoi ils voulaient nous combattre », raconte Diomande Megbe, porte-parole des démobilisés. « Leur chef m’a dit : “Comme vous ne voulez pas comprendre, on va vous dégager, c’est l’ordre que nous avons reçu d’en haut” », ajoute-t-il. Les forces de sécurité lancent alors des gaz lacrymogènes pour disperser la soixantaine de démobilisés. « Nous avons reculé, puis nous sommes revenus, certains d’entre nous ont pris des bouts de bois, d’autres leur ont jeté des pierres, une quinzaine peut-être », poursuit Diomande Mgebe.
« Vous ne voulez pas comprendre, alors on va vous dégager! nous a dit la police avant d’attaquer » raconte Diomande Megbe #démobilisés #Bouaké
— Seb_Hervieu (@Sébastien Hervieu)
« C’est là qu’ils ont commencé à tirer en rafales avec leurs kalachnikovs et une grenade a été lancée », affirme-t-il. Le projectile tue deux démobilisés sur le coup, selon la version du porte-parole. L’un d’entre eux aurait tenté de relancer la grenade en direction inverse. Un autre homme tombe, touché par une balle. Un quatrième manifestant succombe rapidement à ses blessures à l’hôpital de Bouaké.
Dans un communiqué, le ministère de l’intérieur ivoirien a assuré que « les forces de sécurité [avaient] déployé les moyens conventionnels afin de maintenir l’ordre ». « Cependant, certains des manifestants armés ont dégoupillé une grenade offensive qui a explosé en leur sein », a affirmé le ministre Hamed Bakayoko pour expliquer le lourd bilan. Selon lui, cinq gendarmes et policiers ont aussi été blessés par des projectiles.
« L’ordre est revenu » commente sobrement une autorité locale alors que la ville est de nouveau accessible. « Des tentatives de négociations avaient été menées jusqu’à tard lundi soir, mais elles n’avaient pas abouti », précise-t-il.
« Alassane Ouattara, c’est notre papa à tous »
Lundi matin, la ministre de la solidarité, Mariatou Koné, s’était rendue à Bouaké pour assister à la levée du corps d’un démobilisé tué lors de la mutinerie des soldats. Tandis qu’elle promettait pour les ex-rebelles la mise en place d’un fonds d’aide à des projets de création d’entreprises, les démobilisés l’ont prise à partie. « Ce n’est pas suffisant, nous voulons notre argent, comme ce qu’ont eu les soldats, revendique Amadou Ouattara. Je n’arrive pas à comprendre que l’Etat ivoirien fasse tirer sur nous alors que nous aussi, nous avons combattu pour la démocratie. »
Depuis plusieurs mois, la Côte d’Ivoire est secouée par des mouvements de grogne sociale. Mais la chute du cours du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial, limite la marge de manœuvre des autorités. Le gouvernement a récemment dû réviser son budget à la baisse. « Nous sommes endeuillés et très en colère, mais nous ne devons pas céder à la violence », prévient Diomande Megbe. Il attend un geste du président de la République : « Alassane Ouattara, c’est notre papa à tous, il va nous trouver une solution. »