Dans un texte commun, « Le Monde » et trois quotidiens européens appellent à un accord entre Londres et les Vingt-Sept pour garantir les droits de quelque cinq millions de personnes.
En activant, mercredi 29 mars, la procédure de divorce d’avec l’Union européenne (UE), la Grande-Bretagne s’engage sur un chemin incertain. C’est une décision qui va affaiblir les vingt-sept pays demeurant au sein de l’UE et qui annonce, à coup sûr, dix ans, sinon plus, d’instabilité pour les Britanniques.
En 1973, Londres, non sans arrière-pensée, adhérait à l’aventure européenne : rassembler en une communauté prospère et pacifique des Etats-nations qui se sont fait la guerre pendant des siècles. Et, durant quarante-quatre ans, les Britanniques ont participé à ce projet. Ils ont vécu et vieilli avec lui. Il est devenu une composante de leur existence. Même ceux d’entre eux qui perdirent la foi en cours de route ou qui ne l’eurent jamais le disent aujourd’hui : on n’abandonne pas l’idéal européen d’un trait de plume – ce qu’il représente d’acquis sociaux, économiques et humains.
Commence l’énorme et lourde tâche consistant à défaire tous les liens qui ont uni la Grande-Bretagne à la vie des Vingt-Sept. Et ceux des liens qui les attachaient, eux, à la vie des Britanniques. Il faut imaginer une nouvelle relation qui minimise les dommages, pour les uns et les autres. Cela va être d’autant plus dur que Theresa May, la première ministre britannique, s’est fixé des objectifs qui, in fine, vont malmener l’économie de son pays et, très vraisemblablement, infliger des dommages collatéraux à ses ex-partenaires.
Deux problèmes immédiats à l’horizon. Les brexiters, qui se fichent bien de l’avenir des relations entre les deux parties, se refusent absolument à ce que Londres acquitte à Bruxelles la somme due au titre des engagements passés pris par les Britanniques : quelque 60 milliards d’euros. Pour les Européens, c’est une pré-condition, avant de parler du reste. Heureusement, Mme May est restée floue sur le sujet.
Mais, à cette question budgétaire, dont l’ampleur reflète ce qu’a été la densité de nos relations, s’en ajoute une autre : celle des hommes – quarante-quatre ans d’échanges intenses dans les deux sens. Pour les Britanniques défaits lors du référendum du 23 juin 2016, cet aspect des choses aura été l’un des plus bénéfiques de l’appartenance à l’UE. Et même ceux qui perçoivent l’immigration comme un défi savent ce qu’ils doivent à ces quelques millions de travailleurs du Vieux Continent venus faire leur vie en Grande-Bretagne. Du personnel de santé aux travailleurs agricoles, des arts à la science et aux affaires en général, leur contribution a été autant culturelle que matérielle.
Mais voilà, depuis ce fameux 23 juin, l’avenir des trois millions d’Européens vivant et travaillant en Grande-Bretagne tout comme celui des Britanniques installés dans un pays de l’UE est pour le moins incertain. En tout, c’est le sort de cinq millions de personnes – des familles entières – qui est en question. Il ne faut pas en jouer comme d’un pion dans les difficiles négociations à venir. Ce serait condamnable, d’un point de vue moral et économique.
Maintenant que l’article 50 a été enclenché, il faut traiter cette question à part, non comme un « paramètre » dans les pourparlers, qui, encore une fois, vont être durs. Nous suggérons de les commencer sur un geste positif : réglons d’abord la question de nos ressortissants piégés par le Brexit. Les quatre quotidiens européens signataires de cet éditorial appellent à un accord entre Londres et les Vingt-Sept pour garantir les droits de ces cinq millions de personnes