Orchestrée par Nicolas Bedos, la grande nuit du théâtre s’est tenue mardi aux Folies-Bergère. Isabelle Huppert y a reçu un Molière d’honneur pour sa carrière théâtrale.
C’est le roi des Molières. D’ailleurs, sur scène, on lui avait réservé un trône. A 34 ans, Alexis Michalik a raflé, lundi 29 mai, lors de 29e nuit des Molières, pas moins de cinq récompenses pour sa pièce Edmond qui fait salle comble depuis l’automne dernier au théâtre du Palais-Royal à Paris.
Dans les sketches moqueurs imaginés par Nicolas Bedos, drôle et impertinent maître de cérémonie de cette soirée enregistrée aux Folies-Bergère et retransmise sur France 2, il n’y en avait que pour ce jeune prodige du théâtre privé. Il faut dire qu’Alexis Michalik avait déjà été récompensé, en 2014, de deux statuettes pour ses deux premières pièces, Le Porteur d’histoire et Le Cercle des illusionnistes.
Cette fois, en plus des Molières de l’auteur francophone et de metteur en scène du théâtre privé, il a obtenu celui de meilleur spectacle du théâtre privé. Et deux de ses comédiens, Guillaume Sentou et Pierre Forest, ont respectivement décroché celui de meilleur second rôle et de révélation masculine. Cet insolent succès – pour le récit imaginé et enchanteur de la première représentation de Cyrano de Bergerac – est mérité, tant le théâtre d’Alexis Michalik, choral et optimiste, déborde d’imagination.
« “Les Damnés” sont comme un feu rouge »
La Comédie française s’affiche comme la deuxième grande gagnante de cette soirée qui tente, une fois par an, de réunir théâtre privé et théâtre subventionné. « Qu’y a-t-il de plus centriste que Les Molières ? », s’est interrogé avec malice Nicolas Bedos, multipliant les allusions décalées à la présidence Macron.
Les Damnés mis en scène par Ivo van Hove, adaptation saisissante du scénario du film de Visconti, très remarquée lors du dernier festival d’Avignon avant sa reprise salle Richelieu, ont remporté trois Molières : meilleur spectacle du théâtre public, meilleure comédienne du théâtre public (pour l’éblouissante Elsa Lepoivre) et meilleure création visuelle. « Dans un monde qui devient de plus en plus nationaliste, Les Damnés sont comme un feu rouge », a souligné Ivo van Hove aux côtés d’Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française.
Mais c’est James Thierrée, le petit-fils de Charlie Chaplin, qui a remporté le Molière du metteur en scène de théâtre public pour La Grenouille avait raison et Anna Cervinka, pensionnaire de la Comédie française, celui de la révélation féminine pour ses deux prestations dans Les Enfants du silence et Vania.
Symbole de ce que le théâtre privé peut offrir de mieux quand il s’attaque aux classiques, Les Femmes savantes mises en scène par Catherine Hiegel ont offert deux Molières largement justifiés à Jean-Pierre Bacri (meilleur comédien) et Evelyne Buyle (meilleure second rôle). Tandis que Catherine Arditi s’est vu remettre le Molière de la meilleure comédienne de théâtre privé pour Ensemble de Fabio Marra.
De bonnes surprises
La liste des éligibles aux Molières fait souvent débat, et cette année plus encore que d’habitude. C’est Philippe Caubère, sacré meilleur comédien de théâtre public pour son spectacle Le Bac 68, qui a mis les pieds dans le plat en se disant, à juste titre, scandalisé par « l’absence » d’Une chambre en Inde, le formidable spectacle d’Ariane Mnouchkine, parmi les nominés. Tout cela pour une idiote histoire de fiche de renseignement non reçue. « Je partage ma statuette avec Ariane et ses comédiens », a insisté Philippe Caubère qui débuta sa carrière au théâtre du Soleil.
Mais cette cérémonie a néanmoins réservé de bonnes surprises. Pour son excellente adaptation du livre de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, Emmanuel Noblet a reçu le Molière du meilleur seul en scène. Et la belle histoire de Vincent Dedienne dans S’il se passe quelque chose a décroché celui de l’humour. « C’est à mes parents, qui ont eu la gentillesse de m’adopter, que je dois cette récompense, a estimé le comédien, et à mon deuxième papa et metteur en scène François Rollin. C’est très agréable d’être l’ami d’un génie. » Enfin, Bigre, la folie burlesque imaginée par Pierre Guillois, qui s’est jouée, fait rare, dans le public (théâtre du Rond-Point) comme dans le privé (théâtre Tristan Bernard) s’est vu attribuer le Molière de la meilleure comédie.
Remerciant Jean-Michel Ribes « d’avoir réconcilié, grâce à sa programmation au Rond-Point, le théâtre public et la comédie », Pierre Guillois s’est ensuite adressé à la nouvelle ministre de la culture : « Vous devriez créer un théâtre national qui serait dédié à la comédie contemporaine », lui a-t-il suggéré. En début de soirée, Françoise Nyssen avait été chaleureusement applaudie. « Pour une fois ça semble presque sincère, a fait remarquer Nicolas Bedos. Elle habite Arles, elle a lu des livres, bref, ce sera plus drôle l’année prochaine. »
Visiblement touchée par la standing ovation qui lui a été réservée, Isabelle Huppert a quant à elle reçu un Molière d’honneur pour sa carrière théâtrale. « Vous vous rendez compte, le théâtre cela dure depuis des siècles et des siècles, c’est extraordinaire », a souligné la comédienne. « Mais il a besoin d’être protégé », a-t-elle ajouté. Se disant inquiète du sort réservé au metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, Isabelle Huppert a lancé : « Monsieur Poutine, laissez-le tranquille. Allez plutôt voir ses spectacles. »
LE PALMARÈS INTÉGRAL DES MOLIÈRES 2017 :
Molière d’honneur : Isabelle Huppert
Molière du théâtre public : Les Damnés d’Ivo Van Hove avec la Comédie-Française
Molière du théâtre privé : Edmond d’Alexis Michalik
Révélation féminine : Anna Cervinka pour Les Enfants du silence et Vania à la Comédie-Française
Révélation masculine : Guillaume Sentou (Edmond)
Molière de la comédie : Bigre de Pierre Guillois
Molière de la comédienne d’un spectacle de théâtre public : Elsa Lepoivre (Les Damnés à la Comédie-Française)
Molière du comédien d’un spectacle de théâtre public : Philippe Caubère (Le Bac 68)
Molière de la comédienne d’un spectacle privé : Catherine Arditi pour Ensemble de Fabio Marra
Molière du comédien d’un spectacle privé : Jean-Pierre Bacri (Les Femmes savantes)
Molière de l’auteur francophone vivant : Alexis Michalik
Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre public : James Thierrée pour La Grenouille avait raison.
Molière du metteur en scène d’un spectacle de théâtre privé : Alexis Michalik
Molière de la création visuelle : Les Damnés d’Ivo Van Hove
Molières du spectacle musical : Ivo Livi ou le destin d’Yves Montand d’Ali Bougheraba et Cristos Mitropoulos
Molière du jeune public : Dormir 100 ans de Pauline Bureau
Molière de l’humour : Vincent Dedienne
Molière « Seul en scène » : Emmanuel Noblet pour Réparez les vivants