Présidentielle au Brésil : L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a été élu, dimanche 30 octobre, à la tête du Brésil avec 50,90% des voix, selon les résultats définitifs, contre 49,10% pour le chef d’État sortant d’extrême droite, Jair Bolsonaro. La figure de la gauche brésilienne commencera son troisième mandat le 1er janvier 2023.
L’écart entre les deux opposants est très court, dans un pays de 215 millions d’habitants dont près de 156 millions d’électeurs obligés de s’exprimer, le vote étant obligatoire. La marge est bien plus étroite que ce que prédisaient les sondages, qui avaient déjà sous-estimé le score de Jair Bolsonaro avant le premier tour.
avec Armelle Enders, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris VIII, rattachée à l’Institut français de géopolitique, spécialiste du Brésil contemporain, et Elcio Ramalho, chef de la rédaction en brésilien de RFI
L’ex-sidérurgiste de 77 ans, qui avait connu la prison pour corruption (2018-2019) avant de voir ses condamnations annulées par la justice pour vice de forme, effectue un spectaculaire retour au sommet de l’État au terme d’une campagne délétère qui a divisé le pays. Il avait déjà été à la tête du Brésil durant deux mandats, de 2003 à 2011, à l’issue desquels il avait atteint une popularité record.
Immédiatement après l’annonce officielle des résultats, Lula a réagi dans un tweet : « Démocratie », avec une photo de sa main gauche – dont il a perdu un doigt lors d’un accident de travail – sur un drapeau brésilien.
Democracia. pic.twitter.com/zvnBbnQ3HG
— Lula 13 (@LulaOficial) October 30, 2022
Selon notre envoyé spécial à Sao Paulo, Achim Lippold, l’artère principale de la ville, l’avenue Paulista, était noire de monde dans une explosion de joie, en attendant l’arrivée de Lula. Quand il a pris la parole, le désormais président élu a promis à ses sympathisants que « la roue de l’économie recommencera à tourner ».
« Le Brésil a besoin de paix et d’unité », a déclaré Lula, ajoutant que son pays était « de retour » sur la scène internationale et ne voulait plus être un « paria ». « Le Brésil et la planète ont besoin d’une Amazonie en vie », a ajouté l’icône de la gauche dans son discours de victoire, alors que Jair Bolsonaro s’est attiré les critiques de la communauté internationale pour la déforestation record de la plus grande forêt tropicale du monde sous son mandat.
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Pronunciamento do presidente eleito do Brasil, Luiz InácioLuladaSilva https://t.co/sz0Kx6FvyD
— Lula 13 (@LulaOficial) October 30, 2022
« On ne leur laissera pas le Brésil », déplore un bolsonariste
Selon notre correspondante à Rio de Janeiro, Sarah Cozzolino, les électeurs de Jair Bolsonaro sont passés par tous les états émotionnels. Ils sont d’abord arrivés dans une ambiance festive, célébrant la victoire annoncée de chaque gouverneur allié à l’extrême droite. Mais à mesure que le soleil s’est couché, les mines se sont assombries, les bolsonaristes se sont mis à prier tous ensemble, à genoux, en levant les mains vers le ciel et en criant : « Vai dar certo » (« Ça va le faire »).
La déception prime, ainsi que le sentiment que leur candidat a été victime du système, d’une conspiration menée par la gauche. « On ne leur laissera pas le Brésil, on ne partira pas », criait un partisan sur un char, en implorant l’armée brésilienne de ne pas permettre l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Le président sortant n’a pas encore réagi aux résultats. Selon le quotidien Folha de São Paulo, depuis sa défaite, Jair Bolsonaro s’est enfermé seul avec son fils dans le palais présidentiel, refusant de parler à ses ministres par téléphone et de les recevoir.
Au début de la campagne, il avait menacé de ne pas reconnaître les résultats, mettant notamment en cause le système de vote électronique. Il a ensuite modéré son propos au fur et à mesure, affirmant finalement que « celui qui a le plus de voix gagne, c’est la démocratie ».
« Il y a une force d’inertie dans le système politique brésilien qui a un côté redoutable, c’est la corruption systémique. Mais l’avantage, c’est que ça garantit une certaine stabilité », expliquait ce lundi matin, sur notre antenne, Armelle Enders, professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris VIII. Il est « déterminant qu’Arthur Lira ait immédiatement reconnu la victoire de Lula et proposé de travailler avec lui. Il avait déjà travaillé avec lui, tous ces gens qui se sont ralliés à Bolsonaro ont travaillé y compris avec Dilma Roussef. Donc, ils sont aimantés par le pouvoir fédéral et l’accès au coffre public. Ce n’est peut-être pas une bonne motivation, mais ça garantira la stabilité. »
Une victoire saluée à travers le monde
Les réactions saluant la victoire de Lula ont été rapides et unanimes. En Amérique latine, bien sûr : celles des présidents de l’Argentine, du Chili, de l’Équateur, du Venezuela, du Mexique, etc. « Un temps d’espoir et un avenir qui commence aujourd’hui », a déclaré Alberto Fernandez à Buenos Aires. Et ailleurs aussi : le président américain Joe Biden a adressé ses « félicitations à Luiz Inacio Lula da Silva pour son élection à la présidence du Brésil à la suite d’élections libres, justes et crédibles », le chef de l’État français Emmanuel Macron pour qui ce résultat ouvre « une nouvelle page de l’histoire du Brésil », le président russe Vladimir Poutine qui souhaite, lui, une « coopération constructive ».
Fortes tensions
La campagne a été marquée par de nombreuses tensions et incidents, notamment le meurtre vendredi d’un ancien élu du Parti des travailleurs (PT) de Lula, près de Sao Paulo. Selon la police, tout indiquait qu’il s’agissait d’un acte « d’un bolsonariste ».
Des alliés de Lula ont déclaré, avant la fermeture des bureaux de vote, que des policiers avaient arrêté des bus transportant des électeurs alors que les autorités électorales avaient interdit de telles actions. Des médias ont rapporté que ces opérations avaient eu lieu principalement dans le nord-est du pays, région favorable à Lula. Et ce, sur mandat de la police des routes, dont le chef a appelé à voter pour Jair Bolsonaro dans une publication sur les réseaux sociaux, avant de la supprimer. Le Tribunal supérieur électoral (TSE), chargé de l’organisation des élections, a toutefois déclaré qu’aucun électeur n’avait été empêché de voter et a refusé de prolonger l’ouverture des bureaux de vote.