Transition au Tchad : Cinq jours après la répression sanglante des manifestations qui ont fait au moins 50 morts et 300 blessés au Tchad, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) a tenu un sommet extraordinaire sur le sujet à Kinshasa ce mardi.
Trois chefs d’État avaient répondu à l’invitation de Félix Tshisekedi, qui préside actuellement la CEEAC : le Tchadien Mahamat Idriss Déby, le Congolais Denis Sassou-Nguesso et le Centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Les dirigeants présents à Kinshasa ont témoigné leur solidarité vis-à-vis du peuple tchadien. Ils ont observé une minute de silence en mémoire des personnes décédées. Sans viser spécifiquement un acteur, ils ont condamné le recours à la violence à des fins politiques.
Jouant aux équilibristes, les dirigeants de la région ont félicité le peuple tchadien pour l’organisation du dialogue national qui, disent-ils, a pu rassembler la plupart des partis politiques, des mouvements politico-militaires et des organisations de la société civile.
L’organisation dit vouloir jouer un rôle important pendant cette période de transition de deux ans. Ainsi, Félix Tshisekedi a été désigné facilitateur. Il aura pour mission de recréer la confiance entre différentes parties au conflit. Il sera appuyé dans son rôle par deux personnalités, dont le ministre congolais de l’Intégration régionale et le président de la commission de la CEEAC, l’Angolais Gilberto Da Piedade Verissimo. Ces deux derniers sont officiellement désignés envoyés spéciaux du facilitateur.
La CEEAC estime que ce n’est pas le moment d’isoler le Tchad. Elle demande même à l’ONU et à l’Union africaine de renforcer leur appui diplomatique, financier, matériel et technique au processus de transition dans ce pays.
Certains opposants tchadiens espéraient que la CEEAC serait ferme vis-à-vis de Mahamat Idriss Déby. Par exemple que les dirigeants de la sous-région mettraient ouvertement à son passif les morts enregistrés dans les récentes manifestations. C’était également la volonté du mouvement citoyen congolais Lucha, qui s’est fendu d’un communiqué avant la réunion. La Lucha avait appelé les membres de la CEEAC à condamner ouvertement ce qu’elle appelle le massacre du 20 octobre et de demander le transfert du pouvoir aux civils.
« Remettre la transition sur de bons rails »
Devant ses homologues et les représentants des pays de la CEEAC, Félix Tshisekedi a dressé un tableau sombre de la situation au Tchad : « Manifestement, ce consensus semble voler en éclats et la rue a repris la parole avec en solde mort d’hommes par dizaines. Le climat s’est brutalement détérioré. L’horizon s’est assombri à nouveau. L’espoir d’un renouveau démocratique au Tchad, sur fond de réconciliation nationale, s’est effrité. »
Selon lui, les récents évènements constituent un « dérapage dramatique » qui place la CEEAC devant ses responsabilités. Désigné facilitateur, Félix Tshisekedi sait ce qui lui reste à faire : « Il s’agit à présent de remettre la transition sur de bons rails avec le peuple tchadien en tenant compte à la fois de ses aspirations, des valeurs et idéaux de l’Union africaine et de la CEEAC, ainsi que des principaux fondamentaux qui guident leurs actions en pareille circonstance. »
Félix Tshisekedi sait également que le peuple tchadien est impatient de retrouver la paix et la stabilité : « L’heure n’est plus aux discours, mais aux actions concrètes et rapides pour assister ce pays frère à mener à bon port ce processus. » Selon un diplomate en poste à Kinshasa, le chef de l’État congolais joue la crédibilité de l’organisation régionale à travers ses nouvelles fonctions de facilitateur. Un défi pour le chef de l’État congolais qui va devoir faire preuve d’impartialité et surtout d’efficacité, renchérit un autre diplomate africain, pour parvenir à la désescalade.
Les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) démentent les accusations de Mahamat Idriss Déby lors de son allocution télévisée lundi. Le président de la transition tchadienne avait dénoncé, derrière les manifestations durement réprimées de jeudi dernier, une « insurrection minutieusement planifiée », où certains responsables de l’opposition seraient entrés en collusion avec les groupes politico-militaires.
Le fondateur du groupe rebelle du Fact, Mahamat Mahdi Ali récuse les accusations : « C’est totalement infondé, c’est totalement faux. La junte aux abois a commis l’irréparable. Elle cherche à se dédouaner en inventant une collusion quelconque avec le Fact. Non, ces jeunes-là ont été assassinés de sang-froid. Pour moi, M. Kebzabo peut justifier de ces massacres ».
De son côté, le Mouvement patriotique du salut (MPS), ancien parti au pouvoir de feu Idriss Déby, soutient la thèse présidentielle de l’insurrection planifiée. « Nous croyons en la parole du président de la République, parce qu’il a des éléments qu’il ne peut pas nous révéler, déclare Jean-Bernard Padaré, le porte-parole du MPS. Et nous y croyons. De pratiquement tous les Tchadiens, il n’y a pas que Succès Masra et le responsable des Fact qui en doutent, mais c’est une réalité, il y a coordination, il y a synchronisation entre les deux, entre les Fact et entre les organisateurs de la manifestation, du moins de l’insurrection ».