Le chancelier allemand Olaf Scholz a limogé mercredi 6 novembre son ministre des Finances Christian Lindner et va demander aux députés de se prononcer sur la tenue d’élections anticipées, tirant les conséquences de querelles qui paralysaient sa coalition. Dans la soirée, le parti libéral FDP a annoncé que tous les ministres libéraux vont quitter le gouvernement Scholz.
Cette décision, aboutissement de mois de querelles, entre les trois partis du gouvernement, plonge la première économie européenne dans une crise politique inédite, à un moment crucial pour l’Europe, déjà sous le choc de la victoire de Donald Trump aux États-Unis.
Le ménage à trois avait commencé en décembre 2021 comme une relation polyamoureuse qui devait moderniser le pays, et ce, sur la durée. Il s’achève par un règlement de comptes par micros interposés qui témoigne des affres des mois passés et des profondes divergences entre les trois alliés, rapporte notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut. Le bouclage compliqué du budget 2025 a mis en exergue une fois de plus deux philosophies opposées entre les partis de gauche, SPD et verts d’un côté, favorables aux aides à l’industrie, au tournant énergétique et à des mesures sociales. Et de l’autre, un Parti libéral qui défendait le frein à la dette, plaidait pour des baisses d’impôts et une remise en cause de mesures sociales.
Le chancelier Scholz n’a pas mâché ses mots à l’encontre de son ministre des Finances et président du Parti libéral Christian Lindner. « Celui qui, dans une situation aussi difficile, rejette toute solution et tout compromis est irresponsable. Christian Lindner a trop souvent agi pour des raisons partisanes. Il n’existe plus de fondement pour une collaboration. On ne peut pas gouverner sérieusement de cette manière », a lancé le chancelier allemand.
L’intéressé a répliqué à quelques pas de là en rendant le chancelier responsable de la rupture. « Les contre-propositions du chancelier sont ternes, sans ambition. Olaf Scholz a malheureusement montré qu’il n’a pas la force de donner un nouveau souffle à notre pays », a répondu Christian Lindner.
Face aux « ultimatums » de son ministre des Finances, chef du camp libéral, Olaf Scholz a jugé qu’il n’avait pas le choix : il a d’abord décidé de limoger Christian Lindner, grand argentier du gouvernement et président du parti libéral FDP, puis annoncé qu’il posera la question de confiance aux députés.
Les élus du Bundestag décideront le 15 janvier s’ils veulent que des législatives anticipées se tiennent avant la date prévue en septembre 2025. Cela pourrait être le cas en mars. Christian Lindner, chef de file du camp libéral, a « trop souvent trahi ma confiance », a déploré le dirigeant allemand, dénonçant son comportement « égoïste. »
Le FDP a annoncé dans la soirée que tous ses ministres allaient quitter le gouvernement de coalition d’Olaf Scholz, privant ainsi le chancelier de majorité à la chambre des députés. « Les autres ministres FDP » en plus de M. Lindner, qui est aussi président du parti, « ont expliqué qu’ils allaient présenter leur démission au chancelier et au chef de l’État », a déclaré à la presse le président du groupe parlementaire du mouvement, Christian Dürr.
Une rare rupture de coalition
La rupture a été actée après une journée de pourparlers de crise organisés à la chancellerie pour tenter de sauver l’exécutif dirigé par Olaf Scholz depuis fin 2021. Les ruptures de coalition sont très rares en Allemagne et Olaf Scholz voulait mener la sienne jusqu’aux prochaines législatives prévues pour le 28 septembre 2025.
Mais l’équipe gouvernementale est minée depuis des mois par les dissensions politiques, sur l’économie et l’immigration, et les querelles de personnes. Les désaccords se concentrent sur les solutions pour relancer la première économie européenne menacée de récession pour la deuxième année consécutive.
Les sociaux-démocrates d’Olaf Scholz veulent préserver leurs priorités sociales ; les Verts de Robert Habeck font pression pour lutter contre le changement climatique malgré les coûts de la transition tandis que les libéraux sont arc-boutés sur le respect des limites constitutionnelles drastiques de l’Allemagne en matière de déficits budgétaires et de dette.
L’élection de Trump n’a pas eu l’effet escompté
Olaf Scholz pensait que l’élection à la présidence des États-Unis annoncée le matin même du républicain Donald Trump, adepte du protectionnisme et des confrontations diplomatiques, forcerait sa fragile coalition à serrer les rangs. C’est le contraire qui s’est produit. Selon le quotidien Bild, le ministre des Finances a argumenté lors de la réunion de crise que cette élection et l’impact à en attendre rendaient encore plus urgent un changement de cap économique en Allemagne.
Autre argument majeur contre l’éclatement de la coalition, et donc des élections anticipées : les conservateurs sont largement en tête dans les sondages et leur chef, Friedrich Merz, fait figure de favori pour devenir chancelier. Quant au parti d’extrême droite AfD, en forte progression dans les derniers scrutins, il se tient en embuscade en deuxième position.
Désaccord et fuite de document
Mais le fossé entre les partis de la coalition était devenu trop grand ces derniers jours, les désaccords se concentrant sur les solutions pour relancer la première économie européenne qui risque d’être en récession pour la deuxième année consécutive.
La fuite d’un document de Christian Lindner en vue d’un « tournant économique » libéral, à l’encontre de la ligne centriste jusqu’à présent suivie par le gouvernement, a finalement été la goutte de trop. Le ministre, chantre de l’austérité budgétaire, avait lui-même menacé à plusieurs reprises de quitter la coalition avant la fin de l’année s’il n’obtenait pas gain de cause.
« Enfin » : c’est le mot qui revient le plus souvent dans les commentaires ce matin. Depuis des jours, on spéculait sur la fin de la coalition qui se déchirait depuis des mois publiquement avec un chancelier tentant tant bien que mal de rabibocher les trois partis au pouvoir. Jamais un gouvernement n’a été aussi impopulaire en Allemagne.
Le quotidien à sensation Bild comme le journal Die Welt du groupe conservateur Springer sont satisfaits et saluent « le courage » du ministre des Finances libéral Lindner qui pour ses médias met fin à la coalition.
La plupart des commentaires, tout aussi négatifs sur le bilan du gouvernement Scholz, sont moins positifs sur la gestion de Christian Lindner. Le Tagesspiegel lui reproche d’avoir souvent torpillé la coalition pour des raisons tactiques et de fuir aujourd’hui devant ses responsabilités. Süddeutsche Zeitung de Munich évoque un comportement « égotique ». T-online critique le chancelier Scholz qui a pour ce média trop longtemps tergiversé : « Il a échoué en tant que chef de gouvernement ».
L’opposition chrétienne-démocrate et l’extrême-droite saluent la tenue d’élections anticipées fortes de leurs bons scores dans les sondages. 53% dans un sondage à chaud approuve cette issue ; 43% la critiquent.