Pour la première fois, la ville russe a été la cible d’une attaque. Une bombe placée dans une rame a fait 11 morts et 45 blessés. Aucune revendication n’a encore été émise
Peu de gens franchissent les portes, et la voix qui sort du haut-parleur, indiquant que le métro fonctionne de nouveau – hormis la ligne 2 –, paraît plus lugubre encore sous le porche de la station Place-Sennaïa. D’ici est partie, à 14 h 40, lundi 3 avril, la rame qui devait exploser quelques mètres plus loin. Hébétés, des hommes et des femmes viennent y déposer des fleurs et allumer une bougie. Tard, dans la soirée, le président russe, Vladimir Poutine, s’incline lui aussi brièvement, un gros bouquet de roses à la main, devant la station suivante, Institut-Technologique, où tout s’est arrêté.
Pour la première fois, Saint-Pétersbourg a été la cible d’un attentat sur son sol, qui a fait onze morts et quarante-cinq blessés toujours hospitalisés, dont treize dans un état grave, selon le dernier bilan communiqué par le Comité national antiterroriste (NAK) russe. Quatre personnes seraient dans un état critique. Jamais, jusqu’ici, à la différence d’autres villes russes comme Moscou, ce haut lieu du tourisme, ancienne capitale impériale et ville natale de Vladimir Poutine, n’avait connu pareil drame. Trois jours de deuil ont été décrétés. Depuis mardi, le drapeau est mis en berne dans la « Venise du Nord ».
Aucune revendication n’avait encore été émise, mardi matin, mais selon l’agence Interfax, qui citait une source proche de l’enquête, il pourrait s’agir d’une action kamikaze. Les investigateurs s’intéressent à des restes humains retrouvés sur le lieu de l’explosion, et un homme de 23 ans, originaire d’Asie centrale, aurait été identifié. Les services de sécurité le soupçonnent d’avoir transporté des explosifs dans un sac à dos. Rien, à ce stade, ne permet cependant d’étayer cette piste. De leur côté, les services de sécurité kirghiz ont lancé un nom, et l’année de naissance, 1995, d’un ressortissant de cette petite ancienne république soviétique voisine ayant, selon eux, probablement « acquis la nationalité russe ».
Il fait déjà nuit et froid à Saint-Pétersbourg sur le lieu de rassemblement improvisé à la station Place-Sennaïa, et Tamara sanglote. « Jamais je n’aurai pensé qu’une telle chose puisse se produire. » Nikolaï, un grand gaillard, s’est agenouillé. Il a un peu bu, comme d’autres.
« Aujourd’hui, à 14 h 52, je suis passée devant la station Institut-Technologique et j’ai vu le visage des gens qui sortaient, la terreur dans leurs yeux, puis les voitures de pompiers, les ambulances qui arrivaient, raconte Lena, 27 ans, la voix étranglée par l’émotion. Plusieurs de mes amis prennent le métro à cette heure sur cette ligne. J’ai commencé à écrire tout de suite à tout le monde et Dieu merci, aucun n’a été touché. » Le choc est immense pour les habitants de la deuxième plus grande ville de Russie. Sur les panneaux municipaux, le même message tourne en boucle : « Aujourd’hui, Saint-Pétersbourg a été touché par une tragédie… »
Une seule explosion
Une tragédie qui a eu lieu en plein centre touristique, non loin du Théâtre Marinski et de la cathédrale Saint-Isaac, mais pas à une heure de pointe, lorsque le métro, fréquenté quotidiennement par près de 2 millions de personnes, est saturé. L’explosion s’est produite sous terre, peu après le franchissement du canal Fontanka, et la rame ne s’est immobilisée qu’après son arrivée à la station suivante : « Le conducteur a pris la bonne décision en n’arrêtant pas le train, mais en poursuivant sa trajectoire, cela a permis d’évacuer immédiatement les blessés », a souligné Svetlana Petrenko, porte-parole du Comité d’enquête, l’organisme chargé des investigations les plus sensibles en Russie. Les premières images terrifiantes des portes éventrées du troisième wagon ont aussitôt circulé. Des hommes et des femmes étaient allongés sur le quai, en sang, sous les yeux de passagers hagards.
A ce moment précis, Andreï Chourchev était dans la rame en circulation. « J’ai entendu un bruit très fort, a-t-il témoigné au journal Boumaga, puis j’ai senti une brusque poussée et une odeur de poudre à canon s’est répandue. Les lumières dans la voiture suivante se sont éteintes. Le train ne s’est pas arrêté. Quand nous sommes arrivés à la gare et qu’il s’est stoppé, les gens sont sortis par les fenêtres brisées et le personnel du métro tirait les blessés. J’ai vu au moins quatre blessés ou tués. Le quai était rempli de fumée, les gens étaient en état de choc. »
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Une seule explosion, et non deux, comme l’ont cru dans un premier temps les autorités, a dévasté le métro. Moins d’une heure après, les enquêteurs ont trouvé dans une autre station éloignée, Place-Vosstania, un engin explosif artisanal dissimulé dans un petit extincteur de fumée. Le dispositif a été désamorcé sans faire de dégâts.
Vladimir Poutine était présent ce même jour dans la ville et, pour nombre de personnes qui se sont recueillies devant la station Place-Sennaïa, il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Tamara en est convaincue : « Cette boucherie a été commise parce qu’il était là. » Très vite, le chef du Kremlin a présenté ses condoléances aux familles des victimes en évoquant la piste « avant tout terroriste ». « Les services de sécurité et les services spéciaux sont déjà au travail (…) L’enquête va tout éclairer », a-t-il promis. Mais il n’a pas dérogé à son emploi du temps, en recevant longuement, comme prévu, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, en visite sur place. Pas un mot de plus devant la presse à l’issue de cet entretien. Ce n’est que dans la soirée que le président russe a réuni les principaux chefs des services de sécurité.
Tristesse et colère
Déjà ciblée par l’attentat revendiqué par l’organisation Etat islamique, le 31 octobre 2015, contre un charter russe qui reliait l’Egypte à Saint-Pétersbourg avec à son bord 224 passagers et membres d’équipage – soit un mois à peine après le début de son intervention militaire en Syrie aux côtés de Bachar Al-Assad –, la Russie redoutait un attentat d’ampleur sur son territoire. Depuis quelques mois, la présence policière a ainsi été renforcée dans le métro de Moscou et les portiques de sécurité à l’entrée des stations se sont multipliés.
Il y a peu, le NAK avait diffusé devant la presse les aveux ou le repentir de jeunes, en majorité issus d’Asie centrale ou du Caucase, qui projetaient de commettre des attentats ou des actions martyres. Rarissime, cette réunion à laquelle avait assisté Le Monde s’était conclue par un appel à la « collaboration des médias » pour informer et « faire de la prévention ».
Lundi soir, parmi la petite foule rassemblée devant la station Place-Sennaïa, la tristesse le disputait à la colère. Un peu à l’écart, Sergueï, 34 ans, traducteur littéraire, exprimait sa pensée dans un français hésitant. « Je ne suis pas conspirationniste mais il faudra qu’un jour, on nous explique pourquoi depuis que ce régime est au pouvoir, on nous tue, on nous explose… » Dans son dos, les panneaux de la municipalité promettaient que tout rentrerait dans l’ordre au plus vite. Hormis la ligne 2, où s’activaient encore des équipes de recherche scientifique, le métro reprenait son rythme et la ville s’empressait de faire disparaître toutes traces physiques du drame.